Normalement, la nuit je dors. Comme tous ceux qui ont de bonnes raisons de
succomber au sommeil. Mais parfois, là dans le néant de ma cellule, je demeure
conscient pour le malheur des murs et de moi-même. Je regarde couler les larmes
de la prison le long de ces heures perdues qui s'étirent, ralentissent et
s'attardent stérilement avant de mourir à mes pieds. Tout pleure autour de moi.
Tout gémit et rien ne vient me sauver de ce gouffre où je sombre.
J'observe le temps passer, l'horizon reculer, la mort approcher.
Je me retrouve aussi démuni qu'une brindille au coeur de l'océan. Nul
réconfort, pas une terre ferme en vue, même très loin de moi. Juste des journées
sans fin à endurer, des mois interminables à subir, d'innombrables années à
supporter, le tout défilant avec la lenteur des montagnes : quasiment un siècle
me sépare de ce trou plein de vide de la fosse finale !
Je vois le ciel s'évanouir, l'ombre m'ensevelir, l'ennui me mollement
pétrifier.
Je vogue dans un espace d'une effrayante uniformité où ma solitude y brille
tel un phare crépusculaire. J'assiste aux milliers de levers d'un soleil noir et
à autant de couchers désespérés. L'astre censé compter mes jours d'incarcération
est déjà brisé.
Je sens les barreaux se refermer, ma peine s'éterniser, ma vie
s'obscurcir.
Les ténèbres sont totales, j'ignore où je suis arrivé au bout de cette
route qui n'a même plus de nom... Il me reste encore mes yeux intérieurs pour
contempler l'ampleur du désastre. Le naufrage, aussi misérable soit-il, me
semble cependant recéler quelque chose de grandiose : je meurs dans la cour des
grands. J'ai l'impression malgré tout de traverser un enfer à la mesure d'un
paradis. Cet abîme où je m'enfonce est le reflet inversé d'un éden à
reconquérir. Si l'un est si profond et pesant, l'autre est nécessairement
éclatant et léger.
Mais voilà que l'aube dissipe peu à peu mes pensées sombres.
Tout est toujours possible sous la lumière du monde qui s'éveille. Le matin
illumine mon âme, mes vues s'éclaircissent, je me laisse envahir par l'air frais
qui pénètre à travers ma fenêtre ouverte.
Je préfère faire semblant de croire que mon insomnie n'était peut-être
qu'un simple mauvais rêve.
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