Dans le dépouillement extrême de ma réclusion, les moindres bagatelles,
babioles et bricoles prennent des proportions énormes et deviennent pour moi de
véritables trésors. J'apprécie d'autant mieux les plus petits éclats de
fraîcheur, les miettes de sucre, les occasions éphémères de confort que ces
menues consolations sont rares au fond de cette nuit permanente où
j'évolue.
Il en faut peu pour meubler mon sinistre espace de flammes gigantesques. Un
bout de rien du tout, un début de quelque chose, des restes sans valeur
apparente peuvent se transformer en hochets précieux à mes yeux. Je puis
détourner à ma guise n'importe quel objet inutile ou insignifiant et l'utiliser
pour d'inlassables distractions. C'est ainsi que je cherche à passer le temps,
lorsque mon esprit est disposé prendre ses distances avec les murs.
En dehors de mon crayon et de mes feuilles de papiers qui occupent une
partie de certains de mes jours (je n'écris pas régulièrement, loin de là), je
me livre à divers jeux que j'invente spontanément. Ce sont là des activités
ludiques parfaitement absurdes ou au contraire fort intelligentes. Qu'elles
soient basiques, complexes, purement mécaniques ou créatives, simplement
manuelles ou bien hautement cérébrales, ces indispensables futilités constituant
de minuscules évasions m'emmènent hors de ma geôle et c'est l'essentiel.
Ces dérisoires dérivatifs sont mes seules aires de loisirs au coeur du
néant, mes maigres oasis en plein désert carcéral, mes uniques sources d'ondes
claires au milieu des brumes perpétuelles.
Mes frivolités de condamné à vie tournent follement et indéfiniment autour
de thèmes imaginaires multiples et parfois radicalement opposés. Telle fois je
me perds dans des sphères mathématiques abstraites, telle autre fois je
m'aventure dans des lieux célestes colorés. Tantôt il s'agit de gestes
répétitifs vides de sens et ne se rapportant à aucune réalité familière, tantôt
il est question d'histoires improvisées sans nom, sans fin et sans but mais
pleines de rêves fabuleux.
Je fais des châteaux avec tous les débris qui me tombent sous la main. Une
gomme usée, un morceau de carton, un bouchon de stylo suffisent pour me projeter
dans des rêveries profondes. Je m'en sers comme vaisseaux, chars ou carrioles
pour mes voyages aux antipodes de ma cellule. Grâce à ces radeaux providentiels
de bric et de broc, je vogue dans de merveilleux océans oniriques.
Ces misères matérielles, bidules épars et trucs trouvés ici et là
m'emportent avec eux dans d'improbables expéditions aux confins de la Terre. A
travers ces minces supports et selon leurs formes -carrée, oblongues, plates ou
arrondies-, je m'embarque soit dans des camions, soit dans des fusées, et même
dans des soucoupes volantes ou de simples rafiots, pour d'interminables odyssées
virtuelles qui m'éloignent de la prison jusqu'à l'heure du prochain repas.
Quelle ironie ! Depuis mon trou de reclus, je retrouve mon âme d'enfant...
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