C'est une caisse de résonance pour mes moindres faits : allumer le feu,
ouvrir la porte, briser des branchages. Le silence donne de la profondeur à
l'anodin, il rend solennel mes gestes les plus quotidiens. Tout prend de
l'envergure sous son règne.
Il pourrait assommer d'ennui tout citadin déconnecté de ses habitudes. Son
austère présence me fait l'effet d'une statue pleine de majesté. Avec lui tout
murmure devient trompette, la plus insignifiante brise équivaut à une tempête et
la chute d'une goutte d'eau est aussi fracassante qu'un orage.
Il confère une nouvelle importance aux petits riens, décuple la portée de
tout ce qui cri, grince, brûle, soupire, chante... Corbeaux, charpente, bûches,
vent, pluie... Avec lui je peux entendre l'âme des choses, la sève de la nature,
les mots de ce qui se tait et palpite, se terre et brille, se cache et rayonne.
Il est la voix de l'invisible, le tambour de l'ombre, la parole laissée aux
pierres.
Là, au coeur de la forêt, au fond de ma solitude, il pèse autant qu'une
flamme. Il m'éclaire et me nourrit d'essentiel, loin des vacuités et futilités
de la ville. J'apprécie sa compagnie tard le soir au coin de ma cheminée. Grâce
à lui je suis beaucoup plus attentif aux allées et venues des rats, aucun de
leurs grignotements ne m'échappe, leurs couinements emplissent toute ma demeure
et se mêlent aux crépitements de l'âtre, contribuant à entretenir l'ambiance
chaleureuse de cet ermitage. Et dehors le hululement de la chouette ajoute de la
flûte à leur concert sournois. La quiétude me fait aimer ceux que personne ne
veut écouter.
A travers la tranquillité des jours je perçois le tumulte de ce qui est
dissimulé. Dès que l'on chasse le bruit, les secrets hurlent de partout.
Le calme enchante mes soirées de ses légèretés et mystères. Sous sa loi les
objets se mettent à parler, les fantômes se réveillent, des visages apparaissent
dans la nuit.
Et tout bavardage tourne à l'impiété.
Je me concerte alors longuement, passionnément avec la braise aux traits
changeants et aux éclats troubles, jusqu'à ce qu'elle meure lentement dans le
foyer, mettant fin sans tapage à notre conversation nocturne.
Le vacarme pollue l'esprit.
Mais la fumée qui monte discrètement vers le ciel, c'est de l'or qui flotte
dans l'air.
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