Je bénis tout ce qui vient, l'orage comme la sécheresse, la grisaille
autant que l'azur, la pluie aussi bien que le soleil.
Certains matins d'automne je me réveille avec une brume infinie qui s'étend
sur la terre et cache le ciel. La forêt devient alors un séjour pour les
défunts, un univers figé plein de mort et de mélancolie. Plus rien ne bouge et
le silence de l'aube ressemble à une vaste pierre tombale.
Quel bonheur !
C'est un monde de rêve chargé de mystères qui s'ouvre à moi. En poussant ma
porte, je suis immédiatement plongé dans une ambiance morbide. Je sors de mon
habitation de taupe pour entrer dans un royaume de chevalier frigorifié.
Et chaussé de mes sabots, paré de mon simple chapeau de paille, je pars à
la rencontre du brouillard, à la découverte de ces nuages cloués au sol, à la
conquête de nouveaux sommets.
Je prends ces pesanteurs matinales pour des légèretés. A travers la
nébulosité sylvestre je crois apercevoir des châteaux forts aux donjons
sinistres. Mais ce ne sont que des troncs et des branches. N'importe !
L'illusion m'enchante et je poursuis ma marche dans l'inconnu.
Je m'égare avec délices dans les bois. L'humidité fait ressortir l'odeur de
l'humus. J'ai l'impression de me retrouver au Moyen-Âge, perdu dans une légende.
Je reconnais le chuintement caractéristique d'un Boeing qui passe loin au-dessus
de ce siècle périmé et sans électricité où je me suis enfermé et fait oublié.
J'ignore vers quel but volent ces gens dans la carlingue. Leur histoire me
semble tellement éloignée de la mienne... Je leur souhaite bon voyage
néanmoins.
Nos deux réalités radicalement opposées se côtoient à grandes distances.
Eux dans l'espace aérien réglementé, moi dans mon jardin d'herbes sauvages. Mais
ici dans mon trou connecté au vent, aux saisons et au feu de la cheminée, je me
sens en phase avec les heures sacrées de la Création.
L'avion peu à peu s'évanouit dans les nues, je n'entends plus que les
battements de mes propres ailes. Mon âme s'élève, ma vue s'élargit et je vois
finalement les choses depuis ma hauteur d'ermite.
Et là, au milieu des arbres, je disparais dans les clartés vaporeuses qui
m'entourent. Plus personne ne sait que j'existe car j'ai définitivement fui les
lourdeurs de la modernité. Ou alors on me suppose enseveli sous la friche,
dévoré par la ronce, anéanti par la solitude.
En vérité, je suis aux anges.
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