Ma route, cette longue et droite marche vers la lumière, se poursuit loin
des hommes, hors de ce siècle, en secret sous les arbres. Je vogue paisiblement
dans les sommets de ma solitude, ayant dépassé depuis longtemps les étangs de
petitesses et les marécages de lourdeurs de l'existence. Je n'ai nul regret, aucune déception,
pas le moindre déplaisir : j'avance sans me retourner. Trop heureux de pouvoir
cheminer chaussé de mes sabots, l'âme toujours plus légère, je déploie mes bras aériens de jour en jour, visant l'horizon, les nuages, le firmament.
Cette forêt est mon vaisseau de verdure me menant aux étoiles, une
cathédrale de bois m'emportant dans un ciel plein d'éclat et de profondeur, une
voile d'anachronisme traversant l'océan de la modernité.
Ignoré de tous, libéré de toute vanité, détaché du superflu, je n'ai plus
que des fulgurances de pur esprit, des vues de géant, des essors d'oiseau.
Au niveau de mes pieds les évidences semblent banales, figées dans un modèle
d'éternelle inertie, sans autre avenir que la répétition incessante de leurs
apparentes platitudes. Mais ce n'est qu'une illusion, en réalité toute fosse
devient pour moi une véritable ascension.
Une occasion de monter, une opportunité pour m'envoler.
N'importe quel trou dans la terre s'ouvre fatalement sur l'azur. Et là où
je me trouve, à l'ombre de la sylve, il y a un infini lumineux au-dessus de ma tête. Et rien pour me
distraire et m'empêcher de lever les yeux ! Pas une seule chaîne pour me retenir au sol
ni de poids pour m'entraîner vers le bas. Ce refuge forestier n'est pas une
prison mais au contraire l'école de la liberté.
Dans ce cadre sylvestre je ne régresse pas comme pourraient le croire
certains. J'évolue.
Mes semelles, aussi pesantes et grossières qu'elle paraissent, par la force des choses me dotent d'ailes : je me suis débarrassé des futilités de ce monde pour mieux progresser dans la voie royale des êtres supérieurs qui s'élèvent dans l'éther. Les grands éveillés de mon espèce empruntent naturellement des directions verticales.
Je ne me satisfais que de l'essentiel : pour savourer le vrai nectar de la vie je n'ai besoin que de quelques fagots, de ma marmite, de la flamme de mon foyer et de la plainte des corbeaux.
Même mon chapeau est de trop.
Je suis parti dans ma retraite vers les hauteurs célestes pour une éternité d'océaniques fraîcheurs et de divines clartés. Je laisse derrière moi tout ce qui est voué à périr et garde mon souffle pour ne m'attarder que sur les beautés de la Création.
Lorsque s'achèvera ma carrière terrestre, la planète m'aura oublié tout à fait. J'aurai atteint le royaume des porteurs de galoches, au-delà du Soleil lui-même.
De mon passage sur ce globe, il ne restera qu'un peu d'humus.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire