L'isolement où je me trouve me permet de jouir de multiples sources
d'agréments, inconcevables en ville. Et même si le prix à payer pour cette
sauvage liberté est parfois amer, j'accepte ce revers. En effet, au sein de mon
paradis de verdure, il m'arrive d'être en proie à diverses frayeurs. Cela fait
partie de mes conditions de vie.
N'importe ! Je tire profil et délices de ces effrois car l'épine m'agrée au
même titre que la rose ! Le cauchemar m'est aussi enchanteur que le rêve. Je
goûte autant au frisson qu'au vertige, à la ronce qu'à la fleur, à la gifle qu'à
la caresse.
Ainsi certaines de mes nuits sont agitées. Certes le vent qui souffle sur
la forêt y est pour beaucoup, je crois. Mais cela suffit-il à tout expliquer ?
Je préfère ne pas trancher définitivement sur ce point et admettre humblement
que bien des aspects de la réalité m'échappent...
L'expérience m'a appris qu'au fond des bois tout n'est jamais totalement
clair, quoi qu'on en pense. J'ai pertinemment conscience qu'en ces lieux plus
qu'ailleurs, à un moment donné le mystère agit d'une manière ou d'une autre et
qu'en dépit de toute attitude rationnelle, nul ne peut être sûr de rien.
La tempête seule n'est pas responsable de tous les troubles autour de moi.
Lorsque par exemple en ces heures tardives il me semble entendre des coups
contre la porte "Toc ! Toc ! Toc !", dois-je en conclure que trois branches
viennent de s'abattre successivement sur le seuil de ma demeure ? Quand je veux
vérifier la chose et que dehors je ne constate aucune marque particulière,
dois-je supposer qu'Éole a déjà emporté ce trio d'indésirables juste après
qu'elle se sont brisées sur le sol ? Difficile à consentir à une pareille
théorie !
D'autres fois, tandis que les arbres ploient sous l'intempérie nocturne, je
fais le tour de ma maison afin de contrer tout éventuel événement fâcheux. Et
là, dans les ténèbres des traits diffus m'apparaissent. Je discerne des visages
dont j'ignore s'ils sont amicaux ou diaboliques, humain ou bestiaux, réels ou
imaginaires... De simples reflets dans l'obscurité de je ne sais quelles
secrètes lueurs ? Je ne cherche pas toujours à identifier ce qui me fait face
sous les ramures. Je tremble et suffoque de terreur, et sans m'attarder sur ces
regards qui ont l'air de me suivre, je me précipite dans mon lit !
Et quel comportement dois-je adopter en voyant par ma fenêtre des formes
s'animer sous les feuillus ? Aller à leur rencontre ? M'en approcher au plus
près pour me rendre compte si j'ai affaire à des broutilles ou à des spectres, à des présences importunes ou à des fruits de mon imagination, à des morts ou à des vivants ? C'est précisément là que je manque le plus de courage !
Quels êtres rôdent de la sorte à proximité de mon refuge ? Qui me fait ces signes ? Qui sont les auteurs de ces farces terrifiantes ? Des gens malveillants
? Des âmes perdues ? Et s'il n'y a finalement personne derrière ces images et
ces bruits, de quels étranges phénomènes suis-je la victime ? De caprices
météorologiques ? De principes invisibles ? De lois qui ne sont pas de notre
monde ? D'étrangetés de provenances inconnues ?
Ou, peut-être, de causes parfaitement explicables, tout simplement ?
Oui, mais lesquelles ?
Quoi qu'il en soit ces forces, qu'elles soient d'origine lointaine ou
proche, se manifestent en ces occasions sous de sombres apparences.
Je ne dors plus et il me faut alors attendre que le matin me délivre de mes
peurs. A l'aube tout redevient paisible, lumineux, banal. Le jour efface les noirceurs de mon insomnie.
Je me suis habitué à ces inquiétantes compagnies, sans souhaiter entrer en
contact avec elles. Qu'elles passent et repassent donc ! Je les laisse venir et
s'évanouir. Après tout, il est possible qu'elles ne soient que l'écume de la
sylve.
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