Niché au fond des bois en compagnie de la sublime solitude avec qui je
m'entretiens du matin au soir, je me réveille à l'aube avec le projet
d'atteindre la glorieuse étendue de la journée, avec ou sans vagues, en
attendant de rejoindre l'ombre éclatante du crépuscule.
La friche, les épines et les cailloux m'appartiennent ; je suis le roi de
la forêt ! Dès que je sors de mon antre, je me retrouve les sabots dans l'humus,
au sommet de mon royaume.
Je salue alors les souches mortes de mon chapeau troué, tends la main aux
ronces, m'enivre de brume et rêve de pluie, chante avec les corbeaux l'hymne
funèbre du jour, rends grâces au ciel pour ses flots de grisaille généreusement
déversés sur mon ermitage...
Les arbres qui m'entourent remplacent avantageusement la foule humaine des
villes. Leur figures anguleuses, leurs peau rugueuse, leurs allures de légendes
m'effraient dans les ténèbres, me charment dans la blancheur du brouillard. Mais
ne m'inspirent jamais ni ennui ni froideur.
Avec leurs grands airs de centenaires, leur hauteur d'ancêtres enracinés,
leur face de géants aux rides augustes, ils incarnent mes propres profondeurs
comme mes légèretés. Ils sont les reflets de mes secrets et de mes clartés, de
mes nuits et de mes lumières, de mes pierres sombres et de mes flammes
radieuses.
Tantôt spectres sinistres, tantôt seigneurs hautains pleins de majesté, ils
peuvent se montrer cauchemardesques sous la tourmente ou bien lumineux sous
l'azur.
Et apparaissent également tels des fables vivantes, soit avec leurs
efflorescences enchanteresses du printemps, soit avec leurs lambeaux dorés de
l'automne. Et là, ils deviennent féeriques parmi les fleurs mourantes et les
feuilles séchées.
Ce peuple de tronches sylvestres est un palpitant livre de littérature aux
pages séculaires dans lesquelles je m'enfonce et me perds, une source de contes
d'un autre temps qui me fait frissonner, une réserve cachée de mythes et de
mystères pour les hommes-loups de mon espèce.
Seul avec la gent feuillue mais pas abandonné pour autant car en réalité je
suis au coeur d'une multitude de vieilles branches qui me racontent leurs folles
histoires.
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