La forêt où j'évolue ressemble à un océan et à un trou tout à la fois. Un
îlot aux allures de continent. Les limites géographiques de ce monde
constituent, paradoxalement, une démesure pour mon âme.
Un cloître borné pour mes pas, un espace infini pour mes ailes.
Mes jambes parcourent chaque jour l'intérieur de ce terrain aux dimensions
définies, mais mon esprit vole bien au-delà de ce cadre physique. Ce coin
imperceptible du globe terrestre ne représente qu'un point insignifiant sur la
carte, et nul ne prête une particulière attention à cette anodine étendue de
verdure où j'ai pris racine.
Pas un seul élément spectaculaire n'attise la curiosité des hommes ici.
Pour le citadin qui a tendance à poser sur ce genre de chose un regard profane,
ce lieu évoque l'ennui, la déprime, le néant. Selon lui il n'y a rien à faire
dans ces bois, à part y croupir et y mourir d'inertie. Voilà précisément la
raison pour laquelle cet endroit pareil à mille autres est l'incarnation
parfaite de mon éden !
Pour ma part, je pense au contraire que dans ce désert d'arbres, d'herbes
sauvages et de silence tout est à découvrir, explorer, expérimenter. Dans ces
conditions de solitude prédisposant à la méditation, la moindre réalité de cet
univers que l'on qualifie d'ordinaire prend fatalement des envergures cosmiques,
comme tout ce qui a été créé partout ailleurs.
Entre ce théâtre anonyme aux apparences faussement banales où se joue mon
sort d'ermite et d'autres sites estimés plus "sensationnels" par rapport aux
critères de ce siècle, objectivement il n'existe aucune différence. Le même
créateur a formé ces merveilles, petites ou grandes, simples ou plus
sophistiquées, ternes ou éclatantes, rares ou communes... Certains les appellent
des "platitudes" lorsqu'elles ne répondent pas à l'idée étriquée qu'ils s'en
font.
L'oeil de l'éveillé, où qu'il se porte, ne verra que des miracles. Celui du
blasé instaurera une hiérarchie artificielle dans les oeuvres divines. Une
échelle établie d'après ses références à lui, bêtement touristiques, bassement
consuméristes ou arbitrairement esthétiques.
La personne hautement consciente reconnaîtra, sans jamais la filtrer, la
lumière céleste venant de toutes les directions. Et cette clarté universelle
touchera son coeur de manière certaine. Tout apparaîtra sacré à ses yeux. Tandis que l'être vulgaire aux sens émoussés ne s'émerveillera que des cartes postales
et négligera le reste de la Création.
Loin de toute image d'Épinal, et même si cela ne se remarque pas au premier abord, la planète minuscule où je vis est en vérité le royaume des albatros en sabots.
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