Parfois aux jours les plus éclatants de ma retraite forestière, pris d'une
furieuse exaltation poétique, je décide d'aller me jeter dans les flammes du
crépuscule.
Avec mon chapeau sur la caboche, ma guenille de bête sur le dos et mes
sabots de lourdaud des bois, j'ai l'air d'un spectre pittoresque hantant la
forêt. Je ressemble à un épouvantail échappé de son socle, à une sorte de
polichinelle dépenaillé au pas désarticulé par une joie soudaine.
Et je marche comme un dément à travers la sylve en direction de l'horizon
en feu, le regard halluciné, haletant, étourdi, avide de sacrales lumières,
assoiffé de rouges océans et de nues déchaînées, ivre de flots célestes mêlés de
nuages sanglants, rêvant d'atteindre ces sommets illuminés de mes ailes de
fou...
Je plonge dans le divin incendie vespéral, aussi léger qu'une âme
désincarnée. Et je m'envole tel un oiseau fabuleux vers ces splendeurs sanguines
qui déchirent le ciel.
Qui me verrait ainsi courir après les flamboiements de l'azur me prendrait
certainement pour un aliéné en pleine crise ! Mais je n'ai nullement perdu la
boule, tout au contraire je suis rempli de la véritable lueur de lucidité qui
puisse encore exister en ce monde : celle que la Beauté octroie aux esprits
purs, durs, crus.
Et je brille. De fièvre, de délire, de trouble aux yeux de certains,
peut-être... Mais assurément, je brille.
Peu m'importe que ce siècle me raille : mes raisons, mes oeuvres et mes
rêves ne sont pas les siens. Je ne cherche ni la reconnaissance des hôtes des
salons ni l'approbation des poètes. Je me moque des moeurs temporelles, des vues
en vogues et des prétendus sages de tous bords censés faire autorité. Ce qui
compte pour moi, c'est la vérité tranchante au-dessus de ma tête, non les
artifices de cette civilisation si éloignée de mon ermitage qui a remplacé les
fééries de la Création par les néons de la ville et les séductions des écrans portables.
Je ne suis pas un mondain mais un coureur des chemins.
Et surtout, en cette heure glorieuse où le soir s'allume, mes pieds ne sont
plus bêtement posés sur terre. Ils se situent bien plus haut que le sol nivelé
des plats citadins. En me précipitant ainsi vers les merveilles embrasées du
couchant, moi l'habitant des feuillus, moi le frère des arbres, je me place en
réalité non pas au niveau des zélés égarés mais à l'altitude lumineuse des
géants ailés.
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