Il est rare que des feuilles d'arbres venues de je ne sais où parviennent
quasi miraculeusement jusqu'au bord de ma fenêtre. Les plans de verdure sont
loin de l'établissement pénitentiaire, il y peu de végétation et beaucoup de
béton tout autour de ces lieux sinistres où je suis détenu depuis tant
d'années.
Il faut à chaque fois un concours d'heureuses circonstances pour que l'une
d'elles, après s'être décrochée de sa branche sous l'effet d'un opportun coup de
vent, s'envole assez haut et parcoure une importante distance dans les airs sans
qu'aucun obstacle ne l'arrête...
Mais cela ne saurait suffire.
Ajoutons d'autres souffles célestes pour que cette fane monte et descende
au gré des courants aériens, tourbillonnant éventuellement ici et là rien qu'au
nom de la gratuite beauté de son essor, et vienne finalement se déposer tout
près de moi en tournoyant une dernière fois, comme pour me saluer.
Tout en délicatesse. Juste au bon endroit... Là où il ne me reste plus qu'à
la recueillir.
Je suis systématiquement étonné de découvrir une de ces visiteuses
éphémères entre les barreaux de ma lucarne. Quels tortueux chemins ces furtives
compagnes d'Éole ont-elles donc suivis, traversant tant d'espaces dans le ciel,
allant et venant entre les toits ou bien à ras du sol, pour se rendre ensuite
directement à mon domicile perpétuel afin de me présenter leurs subtils hommages
?
Elles effectuent en réalité un voyage extraordinaire plein de finesse dans
la banalité grossière du quotidien. Leur incursion hasardeuse dans mon univers
carcéral apparaît telle une mince affaire aux yeux des profanes, un événement
insignifiant sans conséquence. Sauf que cette expédition aux apparences anodines
recèle des enjeux impérissables, intemporels, universels. Ces messagères de
l'inaccessible horizon, celui qui désormais se trouve hors de ma vue, sont
chargées de légèreté, empreintes de poésie, marquées de leur lumière natale.
Fraîches ou sèches, vives ou mortes, elles incarnent tous les miracles, le plus
fameux d'entre eux étant de réussir à frapper doucement au carreau de ma cellule
en se jouant et des lois et des murs.
Elles représentent bien peu de choses au premier abord, lorsque l'on les
voit ainsi virevolter au-dessus de nos têtes... En vérité ces ambassadrices de
la joie simple et de la liberté de mouvement sont engagées dans une grande cause
: elles volent au secours de ma solitude.
Elles ressemblent à des petites fées, tantôt vertes, tantôt jaunes selon la
saison, m'apportant au creux de leur aile unique toute la fraîcheur de leur
monde végétal. Sur leur visage élégant j'y lis les meilleures intentions à mon
égard.
Je les reçois avec bonheur dans un coin de ma prison, si proches de mes
rêves.
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