Au cour de ma longue route derrière les barreaux, je ne croise que mon
ombre, ne rencontre que les murs, ne parle qu'au silence. Mon voyage est une
descente dans les gouffres glacés du temps anonyme, opaque et austère.
Entre moi et les gardiens tout est simple, net et efficace. Nous échangeons
des mots basiques et courtois, communiquons des pensées neutres ou bien
pragmatiques, partageons de furtifs instants de franche affabilité. Bref nous
vivons en parfaite intelligence. Je prends constamment soin de maintenir une
certaine distance qui permet précisément de ne jamais dévaluer ces relations
cordiales à travers d'éventuelles familiarités. J'entretiens avec le personnel
carcéral des rapports sereins et policés. Je crois que je suis apprécié au sein
de l'établissement.
Ne faisant guère de vagues, je coule discrètement telle une onde morne
enfermée dans son canal de ciment dont on sait qu'elle ne déviera pas de sa voie
rectiligne.
Si je suis bien entouré en qui concerne les obligations quotidiennes, c'est
toujours seul qu'il me faut traverser les funestes déserts séparant le midi de
la libératrice soirée où tout recommence à bouger et bruire un peu autour de ma
cellule.
Juste après le déjeuner, je me retrouve sans nulle compagnie jusqu'à
l'heure vespérale. Les agents du pénitencier ne sont plus là pour apporter un
peu de lumière. C'est là véritablement que commence la partie dure de ma peine.
C'est dans cet espace mortel de ma vie que mon âme souffre réellement et
intensément. Ou plutôt, qu'elle oublie de se sentir exister, fuyant vers un
monde de néant pour mieux échapper à son triste sort, comme si elle tentait de
n'avoir plus conscience d'elle-même. Il m'arrive de passer ce moment stérile en
attendant bêtement le repas du soir, inutilement étendu sur mon lit à fixer le
plafond, à l'écoute du vide, la tête pleine de plomb, de poussière et
d'ennui.
Et j'avance ainsi pas à pas, sans sortir de mon trou. Je progresse peu à
peu dans mon "immobilisme en action", tantôt chargé d'idées noires, tantôt
délesté de tout encombrement intérieur. Je file sur mon chemin de condamné,
lentement, à l'allure désespérante d'un interminable sur place. Je marche quand
même. Vers un horizon plat peut-être, vers des années de ténèbres il est vrai,
vers une mort assurée je ne peux le nier, mais au moins les jours
m'emportent.
Mais je me meus, vaille que vaille.
Aussi peu que ce soit, je me dirige dans la bonne direction. Je traîne ma
carcasse, je gagne du terrain, je poursuis mon destin. Même si je creuse ma
tombe, je sais qu'au coeur de cet univers sombre et statique où j'ai tellement
l'impression de ne rien faire, finalement je contribue involontairement, du fond
de mon minuscule antre de rat, au progrès de la cause humaine imbriquée dans le
vaste ordre cosmique.
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