Dans ce gouffre où je gis à présent, l’administration pénitentiaire m’a 
toutefois accordé de quoi m’évader à peu de moyens : un stylo et du 
papier.
Elle a choisi en réalité d’acheter au rabais une paix perpétuelle sur les 
neuf mètres carrés où désormais je vais devoir passer le reste de mon existence. 
Un détenu s’accrochant à une plume étant une garantie d’ordre et de sécurité, 
j’ai eu droit à ce traitement de faveur.
En dépit de l’horreur de mon crime, je fais partie des privilégiés à qui 
l’on offre le minimum pour obtenir le maximum : quelques gouttes d’encre fraîche 
en échange d’un fleuve de tranquillité. Une carotte contre la promesse d’une 
montagne. Cela semble dérisoire mais ça me va.
L’écriture sera donc mon refuge, ma soupape, ma libération.
Des feuilles sans nombre à noircir régulièrement, pour mes geôliers ce sont 
des chaînes supplémentaires que je m’inflige à moi-même, mais surtout un 
allègement de leur travail. Pour moi ces modestes rectangles volants où je 
couche mes mots sont des voiles immenses qui me font voguer vers des horizons 
éclatants.
Donner au prisonnier qui le demande l’opportunité d’écrire permet de 
canaliser toutes sortes de flammes, d’amoindrir des douleurs, de dévier des 
larmes, de contenir des feux. Cette plongée dans le calme et l’introspection est 
l’assurance de plus de quiétude pour tous.
Mon sort est celui des damnés du monde, je suis un réprouvé du siècle et 
j’ai été condamné au pire. On m’a placé là afin que j’expie. Je n’ai par 
conséquent aucun écran dans ma cellule. Pas plus de radio. Rien qui puisse 
capter des ondes. Nul journal. Ni lucarne donnant sur l’extérieur ni trappe à 
travers laquelle recevoir le moindre cadeau.
Juste l’infini de la page blanche.
Autrement dit, j’ai tout. Le meilleur. L’inespéré : le ciel sans borne de 
l’imaginaire. Avec les nuages et les oiseaux qui le peuplent, mêmes s’ils ne 
sont que des rêves.
Là, sur ma table, sous mes yeux, sur cette surface immaculée où vont se 
figer mes pensées, je vois de la lumière. Une fenêtre s’ouvre, remplaçant tout 
ce qui me manque.
Sur cet espace minuscule où s’alignent mes phrases, je peux prendre 
de la hauteur, quitter mes fers et vous raconter mon enfer.
J’accepte certes de souffrir, mais réclame également de continuer à vivre. 
Qu’on m’enferme c’est entendu, mais qu’on me laisse respirer.
Ces feuillets où ma vie confinée trouvera un prolongement, de la 
profondeur, un écho, une invisible écoute constitueront mon coin de verdure, ma 
sphère d’azur, mon envol carcéral.
Je suis seul et je m’adresse à mon ombre. Pourtant j’ai l’impression, étrangement, que l’Univers entier m’entend.
 
