Souvent je viens m'étendre sur le bord de la rivière coulant à proximité de
mon foyer d'ermite.
Ce lieu constitue mon port de quiétude. Comme si je me reposais près d'un
flux de molle éternité, à côté d'un lit d'infini sommeil...
Ainsi allongé, je contemple le voyage de l'eau sans départ ni arrivée en
songeant à mes patates, en me perdant dans le bleu du ciel ou bien en faisant
résonner mes sabots dans l'air, en guise de tambour.
Et lorsque la chaleur commence à brûler mon chapeau, je vais sans tarder
tremper mon cul dans l'onde fraîche. Je me sèche ensuite au vent parmi les
herbes, nu comme une bête.
Parfois je me demande si des inconnus passeront un jour devant moi sur un
bateau. Et je repense à cette navigatrice solitaire toute en scintillements et
fantaisie qui avait follement débarqué sur la rive... Mais à part ce fulgurant
oiseau de flamme et de légende qui vint me rendre visite si furtivement, je n'ai
jamais vu de semblables merveilles naître de l'horizon ! Sauf, peut-être, des
mouches et des crapauds surgissant ici et là dans la brume et les
clapotis.
Et tandis que les heures filent, je vogue dans mes rêves de loup, statique
comme une pierre, aussi léger qu'un papillon. Je vagabonde dans mes pensées, ma
carcasse sur le sol, mon âme survolant les flots.
Je me représente les nombreuses femmes que je n'ai pas, imagine les rares que j'aurais pu
avoir, et regrette un peu celle qui m'échappa, l'autre fois sur sa barque... Qui
donc, après cette tempête de dentelles et d'étincelles, pourrait apparaître au
fil du courant ?
Je n'attends que des visages inabordables, des images sans nom, des mirages
lointains. Rien que des nuages en réalité, dans le reflet des vaguelettes.
Je n'espère que des richesses simples, des trésors à ma portée, des fruits
que je puis me payer au prix naturel : ramassés par terre.
Personne ne reviendra accoster ici, je crois. Tant mieux ! Mon amour pour la friche et les bois est plus fort que le reste.
Seul mon feu de fagot, ce soir, comblera ma soif.
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