Mon grand rendez-vous de la journée sonne ses coups fatidiques au fond de
ma marmite.
La soupe du soir, que je confectionne avec ce que mes sillons m'offrent de
meilleur, constitue un rituel à portée de ma nature simple et rustique.
Véritable sommet clôturant les heures de ma paisible existence d'ermite, mon
bouillon de légumes frais est une prière dédiée au dieu des péquenauds.
Avec mon chapeau de clodo, mon manteau de garou, mes sabots de crotteux et
mes fagots de gueux, je suis un miteux heureux.
Après le crépuscule, tout devient plus confidentiel, intime et secret sous
mon toit. Parfois pendant mon repas je laisse ma porte ouverte sur l'obscurité :
la magie de la nuit entre chez moi et parfume mes navets et carottes de
mystère.
Il ne m'en faut pas beaucoup pour que je me taise de bonheur : un mets
chaud composé des primeurs du jardin que je déguste au pied de la cheminée, avec
vue sur les ténèbres du dehors, me suffit pour combler ma soirée. Ces petits
riens, qui à mes yeux valent une fortune en termes d'instants précieux, font
partie des trésors de mon royaume.
Mon silence devant l'âtre n'est qu'une flamme de joie sereine. Je n'entends
plus que le crépitement du feu et le cri de la chouette au loin.
Une fois mon bol terminé, je referme l'huis sur ma solitude. Repus de ce
festin maraîcher, je rêve et médite en accrochant mon regard sur les pommes de
pin exposées un peu partout dans mon antre, ravivant de temps à autre la braise
jusqu'à ce que le sommeil me pousse vers mes draps.
Je nourris pragmatiquement mon corps des fruits de la glèbe, et en m'émerveillant de ces cultures, me dote indubitablement d'ailes.
Demain et les autres jours je reproduirai cette routine, après avoir
ramassé du bois et travaillé au potager, humblement, humainement, sans éclat
particulier mais sans inutile misère pour autant. Avec toute la vérité de mes
mains conçues pour plonger dans l'ombre de la terre et de mon âme faite pour
voler dans la lumière.
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