Dans mon royaume de friches et de bois, je suis heureux comme un crapaud
dans sa mare.
Avec mes allures d'épouvantail sylvicole, j'admets que je serais
effrayant aux yeux de bien des citadins ! Dieu merci, je ne suis pas là pour
plaire au siècle mais pour enfoncer mes sabots de crotteux dans l'humus, plonger
ma tête de sanglier dans la rivière et poser mon cul de péquenaud devant la
cheminée !
Chez moi tout à cent ans de retard, c'est dire combien je suis en avance
sur mon temps !
Impossible de me lasser des arbres qui m'entourent, des bûches que je fais
brûler dans le foyer, des pommes de pin entassées sur ma table et près de
l'âtre, de la marmite où mijotent mes patates, des feuilles mortes, des fougères
ou des herbes folles formant mes tapis de verdure.
Sous mon toit ça sent bon le foin, la suie, les fruits qui mûrissent et le
tilleul qui sèche. De simples morceaux d'écorce de pin ou des fagots entreposés
sur le sol battu suffisent à embellir mon palais d'ermite.
Et l'humble flamme du
soir instaure une ambiance magique dans la pièce.
Les éléments bruts de la nature composent le sobre décor de ma demeure. Ce
qui rend chaleureux cet antre de paysan où je vis. Le rituel quotidien du feu
vespéral est à chaque fois un enchantement. Le spectacle du crépuscule, qu'il
soit flamboyant, sinistre ou bien médiocre, ne m'ennuie jamais. Et l'obscurité
qui s'installe sur la forêt avec son noir manteau devient la meilleure compagne
de mes soirées, une fois ma porte refermée.
Et lorsque le froid frappe à mon huis, je le laisse entrer lui aussi. Je ne
crains nullement les rigueurs saisonnières, elles forgent mon bonheur de bête
solitaire.
On l'aura compris, je ne suis pas un collectionneur d'art, pas un
endimanché de la ville, pas un adepte des salons feutrés. Je ressemblerais
plutôt à un hérisson nichant dans une étable. Mes sources de joie se limitent à
la présence de ma chandelle, à la braise qui me tient en éveil, à la pluie qui
me donne envie de sortir, aux chants des corbeaux et aux cris des hiboux qui
peuplent mes jours et mes nuits de rêves de bûcheron.
Mon existence est rustique, mon gîte grossier, mon âme aussi légère que la
Lune.
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