Avec mes semelles inusables d'antique hibou des champs, je parcours
beaucoup les espaces locaux et explore essentiellement les coins cachés hors des
sentiers balisés, ce qui me permet de pénétrer plus facilement dans des trous
singuliers. C'est ainsi que je découvre mes trésors humains.
Parmi mes connaissances vagabondesques, je vous présente Madame Garbichon.
d'antique hibou des champs aux semelles inusables
Cette femme sortant indubitablement de l'ordinaire est une veuve âgée à la
langue leste et à la pensée brutale qui a un jugement bien arrêté sur vous et
sur moi, sur ses propres voisins mais aussi sur leurs chats et chiens, sur les
étrangers, sur ses amis et sur ses ennemis, sur les gens qu'elle connaît et
surtout sur ceux qu'elle ne connaît pas... Sur tout le monde en fait.
La mère Garbichon depuis sa méchante masure apparaît telle une sorte de
croquemitaine au féminin, mi-sorcière, mi-bigote, qui va à la messe soit pour y
critiquer ouvertement le curé, soit pour y cracher haineusement à la face des
"belles dames" (comme elle dit) qui y assistent. Et même pour y déboulonner
quelques statues de plâtre de ses opinions tranchées ! Ce qui ne l'empêche pas
d'aller pieusement s'agenouiller devant de la Sainte Vierge, par ailleurs.
Mais attention, en revenant de l'office dominical, remontée par je ne sais
quelle secrète cause, cette drôle d'ouaille se montre volontiers plus féroce
qu'à l'accoutumée ! Gare à celui qui croiserait la route de la Garbichon à son
retour de l'église ! Une vraie ronce sur patte !
Cette fidèle pas comme les autres m'inspire les meilleurs sentiments, à la
vérité. En sa compagnie je suis sûr de trouver une contradictrice à la hauteur
de mon chapeau de paille ! Impossible de m'ennuyer avec elle.
J'apprécie son esprit caustique ainsi que le contenu de sa marmite, c'est
pourquoi je lui rends souvent visite. La mégère me reçoit à chaque fois chez
elle avec chaleur et fracas. De sa cuisine émanent toujours des odeurs
accueillantes et son feu y demeure sans cesse actif. Sous son toit de mauvaise
fée, ça sent bon le choux, la patate et la saucisse.
Quelle fête dès que je passe le seuil de sa bicoque !
L'antre suscite l'effroi au premier abord. Des gousses d'ail en forme de
spectres dodus sont pendues sur leur gibet couverts de toiles d'araignées, sur
les murs des portraits d'ancêtres issus d'un royaume mystérieux et lointain vous
fixent avec leur mine sévère et inquiétante, sur la table s'étale un méli-mélo
d'objets insolites à usages suspects et indéterminés, enfin des fagots qui
ressemblent à de longs hérissons debout s'amoncellent près de la cheminée,
attendant d'être sacrifiés sur l'autel âpre et joyeux de cette rescapée d'un
siècle révolu...
Elle ne semble visiblement pas indifférente au charme épineux de ma barbe
d'épouvantail ambulant, ni même aux rudes séductions de mes bottes de laboureur
des chemins.
Mais moi, en plus de ses succulentes fricassées, c'est sa soupe aux
commérages et ses assiettes de potins que je préfère. Des mets de choix pour le
colporteur de flammes et de glace que je suis.
Chez la vieille Garbichon je suis certain de manger des plats qui tiennent
au corps et de boire des étoiles qui enchantent mon âme !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire