C'est ici que vous recevrez mes adieux.
Je m'adresse à la poussière, aux cafards et aux humains.
Mon temps de peine est terminé, tout commence vraiment pour moi à partir de
maintenant. Le monde des vivants derrière moi ne me compte plus parmi sa
population depuis déjà fort longtemps. En passant la porte de cette prison, bien
avant que la plupart d'entre ceux qui me liront peut-être ne soient nés, on me
regardait comme une ombre pénétrant dans la nuit de la réclusion à perpétuité.
On me voit en sortir aussi pâle qu'un cadavre. Avec une étiquette à la patte.
Une sortie royale.
Je crois que j'ai accédé au statut de légende dans le milieu carcéral. Aux
yeux des autres détenus, je vais devenir une statue de mie de pain en mourant.
Une icône de draps noués. Un saint couronné d'oranges fraîches. L'évadé suprême
et définitif, en somme. Je ferai partie du folklore des taulards. Quelle
insignifiance !
Je pars sans gloire, petit à petit, dans la solitude et le mépris. Je crève
seul et abandonné, très heureux d'être, en cette heure, au même niveau que les
vils rongeurs agonisant dans les caniveaux ! Et ne demande nulle faveur à ce
sujet. J'assume ce sort de vermine.
Je me suis infiniment ennuyé entre ces murs. Les barreaux ont barré mon
horizon et les geôliers ne m'ont jamais délogé. Mais je devais demeurer dans ma
cellule jusqu'à toucher le bord de la tombe. Il n'y a rien à regretter de ce
côté-là, j'ai payé de ma personne ce qu'il y avait de plus cher afin de
rembourser mon crime. Je ne déteste point mes gardiens, eux au moins sont
toujours professionnellement restés en dehors de mes affaires intérieures. Ils
se sont occupés de mon bien-être quotidien tout au long de mon voyage de
condamné, se montrant sans cesse ponctuels et consciencieux.
Le train de la perpéte va bientôt s'arrêter sous les trompettes à la gare
de la mort. Je vais descendre de mon wagon et vous saluer. Et puis monter,
j'espère.
Pour faire face à mon Créateur qui me présentera à ma victime.
Mais pour ceux de la Terre, pour les anges et les innocents, je veux aller
à l'essentiel. Et leur destiner en ce jour crucial les mots ultimes du
prisonnier à vie que je suis...
Que la postérité les entende ! Voici mes dernières paroles, juste après je
poserai mon stylo et fermerai les paupières.
Sachez tous que si je souhaite mourir comme un rat, c’est pour qu’on se
souvienne du pauvre homme que je fus.
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