Je passe le plus clair de mes journées à battre la campagne, courir la
friche, traverser les champs, allant de villages en maisons isolées, de fourrés en bosquets, tant à la
rencontre du gibier que des humains. Entre deux braconnages, je vais chez les
curés, les paysans, les humbles et les notables aux hasards de mes pas pour y
prendre le café, le vin fin ou la grosse gnôle. Ou pour n'importe quelle autre prétexte justifiant que je foute mes bottes crotteuses dans leur foyer, des
lapins encore chauds dans ma musette !
J'en profite pour colporter mes douces folies et récolter les dernières nouvelles du coin.
Je viens également me réchauffer l'hiver au pied du feu de mes hôtes en
leur racontant des histoires effrayantes... C'est surtout pour cette raison, je
crois, que ces gens aiment me laisse entrer chez eux le soir. Ils ont
l'impression d'accueillir dans leur demeure trop ennuyeuse un invité
extraordinaire : tantôt une légère hirondelle, tantôt une chouette antique. Voire un
loup de la nuit.
Quand je me retrouve sous leur toit, les écrans s'éteignent et les
cheminées s'allument. Pour eux c'est l'heure de toutes les légendes. Pour moi
celle où je deviens un mage repus de bon pain, le temps d'une longue veillée
sous la lueur de la flamme.
Je leur narre des merveilles, des contes inquiétants, des fables pour les faire rêver, rire et cauchemarder... Ils me retiennent souvent plus longtemps que prévu.
Tard dans la soirée je repars, le ventre plein, satisfait, fatigué
et heureux. Il ne me reste plus qu'à chercher une grange pour dormir
paisiblement dans le foin en compagnie d'un âne. Ou bien le lit d'une vieille
fille pour y étendre follement mon ample carcasse de roi botté jusqu'au matin.
Ecurie d'équidé ou chambre de demoiselle acariâtre, cela revient un peu au même
: je m'entends bien avec les bêtes.
Ma vie de vagabond est une incessante aventure champêtre, un interminable voyage local et floricole, un vol en plein vent ponctué de
repos devant soit l'âtre de l'homme, soit le râtelier de l'herbivore... Je vais de fleurs en coeurs, de mottes de terre en grottes de bigotes, de cavernes d'ours en salons de notaires et de joyeux presbytères en hymens austères...
Mes semelles sont sans cesse en fête !
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