Avec ma barbe d'ogre, mes grosses bottes de péquenaud et mon air
d'épouvantail, on me trouve laid comme un sanglier, aussi effrayant qu'un
corbeau. J'ai l'air d'un croquemitaine d'un autre temps.
Je suis un rat des champs en réalité. Mais un vrai, pas une carte postale.
Ainsi que tout bon braconnier, je sens le lièvre chaud, le foin des fourrés
et l'humus des bois. Parfois je pue la canaille et je pique aussi fort qu'une
ronce.
Les gens m'adorent.
Les hommes sont amusés par mes allures folkloriques, les femmes me
regardent en frémissant et leurs chiens se taisent sur mon passage. Quant aux
enfants, ils font de délicieux cauchemars en me voyant. Les chats me suivent
volontiers, il faut dire que je les nourris généreusement !
Les vieilles filles douteuses rêvent de mes étreintes et les bigotes
honnêtes se méfient de mon chapeau de paille. Nul ne sait jamais quel jour
j'arrive dans une bourgade, je m'attarde dans un taillis ou je m'envole vers la
ville. Tantôt on m'aperçoit près d'un puits, au bord d'un abreuvoir à vaches ou
assis sur les racines d'un chêne, tantôt on me croise là où je de devrais pas
être. Toujours avec la tête dans les nuages ou les pieds dans un ruisseau.
J'incarne les fables ancestrales qui continuent de hanter le quotidien des
vivants. J'attire les audacieux, repousse les peureux. J'apparais le matin dans
les rues des villages telle une chouette soudaine, disparais au crépuscule à
tire d'ailes. Ou alors je passe la nuit dans une grange pour en sortir à l'aube,
incognito.
Les gendarmes me connaissent comme le loup blanc dans la région. Ils
comptent d'ailleurs parmi mes meilleurs amis : nous trinquons souvent ensemble à
la sauvette, au gré des rencontres sur la route ou bien au détour des bosquets.
Ils ferment généralement les yeux sur le gibier illégalement soustrait.
Je m'en vais vous raconter ma vie de bonne bête des chemins. Mais
attention, je ne fais pas dans le chiqué pour plaire au public délicat des
salons littéraires et aux lecteurs solitaires dans les chaumières... Non, moi je
mouds du grain authtentique, je fabrique du pain noir, du complet, du qui tient
au corps et qui a du goût. Je n'appartiens pas à l'époque qui m'a vu naître, je
viens de plus loin. Je mange les salades de pissenlits et bois l'eau de la poésie !
Mon royaume est celui de la liberté.
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