Mon bonheur véritable n'est pas dans la douceur léthargique de la caresse
mais dans la piqûre vivifiante de l'épine.
Le confort tue à petit feu, la rudesse maintient en éveil.
La tiédeur amollit les âmes, tandis que la grêle tranchante les enflamme. Les hommes qui dorment dans le coton sont déjà morts : leur lit paré de dentelles est un cercueil. Ceux qui rêvent dans le fossé côtoient les dieux : leur oreiller d'humus est un nid fertile. Les uns s'aplatissent au ras du sol, les autres rebondissent sur la dureté des cailloux et s'envolent vers les astres.
Les tempéraments flasques se chauffent en hiver jusqu'à en perdre leur
humanité. Ils se protègent des pollens, des insectes, de la boue, des mauvaises
herbes, des saisons, de la pluie, du Soleil, contractent des assurances pour
d'improbables faux pas, d'imaginaires vols planés, d'incroyables accidents du
hasard, d'impossibles situations... Ils deviennent des robots dépourvus de
sensations. Frileux, prudents, avides de sécurité, gavés de compléments
alimentaires, dénués de courage, ils s'ennuient sans en avoir même conscience,
mollement étendus sur les vastes canapés de leurs salons étriqués.
Les êtres supérieurs quant à eux affrontent tout la peau nue, les bras
ouverts, le sourire aux lèvres, le front d'acier, le coeur vif ! Ils étreignent
follement la Création, embrassent la braise et la cendre à pleine bouche et avalent la lumière et l'orage à
gorge déployée. Lorsqu'ils frissonnent en décembre, ils prennent des douches
glacées pour se réchauffer. Et si le sort leur réserve quelque calamité, ils s'en
réjouissent, profitant de ce coup de pied au cul pour mieux avancer. Leur
meilleure protection contre l'adversité, c'est d'accepter les risques inhérents
au fait d'être né. Hautement conscients du caractère initiatique de l'existence
et assumant pleinement leur vulnérabilité et leur mortalité, quoi qu'il leur
arrive il ne sont jamais déçus par l'imprévu.
Le faible a froid, le fort brise la glace.
Le premier grelotte en regardant la neige tomber, le second marche dans la
beauté.
Personnellement j'appartiens à la race méprisée des durs. Je n'ai nulle pitié pour les timorés, aucune estime envers les caniches, pas le moindre égard pour ceux qui tremblent. Je les saigne, les dépèce, les fracasse entre mes crocs. Ce sont des larves ne méritant que ma férocité.
Ils sont gelés, je suis brûlant. Ils sont lourds, je suis léger. Ils sont pétrifiés, je suis ailé. Ils sont enterrés, je suis éthéré. Ils sont un tas de plomb, je suis une plume.
Moi le carnassier, eux les poussins. Moi l'aigle, eux les oisillons. Moi l'ange, eux les déplumés.
Quand je dis "eux", en vérité il s'agit de vous qui me lisez. Et vous le savez tout autant que moi. C'est vous que je vise, non un autre. Vous me détestez parce que ce qui vous fait gémir me fait rire et ce qui à vos yeux est sérieux n'est pour moi que bagatelle. L'argent vous guide continuellement, la vacuité vide systématiquement vos comptes en banque, l'apparence vous importe immodérément, le troupeau qui vous ressemble vous rassure.
Vous avez tout le matériel et toute la nourriture qu'il vous faut, vous êtes repus de superflu. Mais il vous manque la liberté. Trop attachés à vos mollesses, à vos radiateurs, à vos matelas, à vos amortisseurs et adoucisseurs, vous avez la trouille de briser vos chaînes.
Vous avez peur de prendre de la hauteur.
Si je suis le plus mal-aimé des loups, c'est pour la seule raison que je dévore toute crue la vie.
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