Le centre vital de mon foyer de solitaire borné et arriéré, rebelle aux
facilités de la modernité, est censé se trouver au fond de ma marmite d'ermite. En effet,
la richesse supposée de mes repas passe fatalement par leur cuisson dans ce
contenant ventru.
C'est là, au-dessus de la braise domestique, que mijote la manne spartiate
de ma vie d'homme en sabots. Il n'y a certes pas vraiment grand-chose à manger mais quand
même de quoi grassement rêver...
J'y jette tout ce que le ciel et la terre m'offrent sans compter :
tubercules opportuns et multiples épis glanés, fruits (pourris ou non) des bords
de chemins, châtaignes éparses, céréales amenées par tous les vents, graines des
fossés, herbes diverses...
Je me confectionne ainsi des soupes de pauvre, des bouillons de cailloux ou
de pissenlits, des festins d'affamé ou des agapes de gueux, me satisfaisant
amplement de régals de trois fois rien ou de bombances de maigre selon les
arrivages du sort, les saisons d'opulence ou les lendemains d'infortune, les
jours de beurre ou les dimanches de petit lait. Mes mets agrestes sont toujours
accompagnés d'eau de pluie. Ou de bien meilleur jus quand il y en a.
Mais n'allons pas plus loin dans les chimères car ces aliments mitonnés
dans ce réceptacle suspendu au-dessus de la flamme de ma cheminée constituent
surtout du folklore. Je me sers de ce pot de fonte comme agrément pour pimenter
ma réclusion forestière. Il est aussi un prétexte pour apporter une ambiance
chaleureuse à ma maisonnée.
En réalité l'essentiel de ma nourriture provient des fermes aux alentours,
ainsi que de mon potager. Pain, oeufs, fromage, crème, légumes, tartes, miel,
gâteaux...
Cependant ce vaste récipient avec ces mixtures d'un autre âge chauffant
patiemment dans l'âtre a une fonction plus pragmatique. Il n'est pas que purement
décoratif.
Plus sérieusement, j'y fais cuire les patates de mon jardin.
Avant tout, c'est un bien utilitaire qui égaye et enracine avantageusement
ma retraite au coeur des bois. Même s'il fait office, par ailleurs, d'objet de
légende, d'image d'Épinal.
Mes frugales fricassées aux si sobres saveurs sont en vérité des plats
factices, des recettes âpres pour m'amuser, qui contrastent de façon ludique
avec mes vrais menus d'ogre.
Je ne suis pas fou, si je veux durer dans mon trou je ne dois jamais
manquer de bonnes choses et à ma guise banqueter comme un roi !
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