Dans les profondeurs de la forêt je connais un sentier bordé des deux côtés
de grosses souches. Elles forment un alignement de mystérieuses figures végétales le
long du chemin, si bien que ce dernier paraît gardé par une double rangée de
soldats. Des vigiles de bois sec, aux faces déformées, aux corps grotesques. Au
crépuscule l'effet est encore plus saisissant, les ombres de ces troncs brisés
devenant des silhouettes aux visages effrayants...
Lorsque je passe entre ces restes d'arbres aux allures fantasques, je me
sens épié par des regards obscurs, encerclé par des présences ambigües, suivi
par des spectres informels...
A la fois terrifié et rassuré par cette escorte de monstres immobiles, et
bien que je sois légèrement oppressé par la situation, je ralentis
volontairement le pas afin de prolonger le piquant de cette aventure. Ainsi
s'enrichit mon quotidien d'ermite. Nul besoin d'écrans, d'artifices
technologiques, de chapiteaux de cirque ou de je ne sais quels coûteux billets
de théâtre, les surprises de la nature me suffisent amplement. Ici le spectacle
est gratuit, permanent, et ce n'est nullement du chiqué !
Et quand je rencontre la mort, elle n'est jamais factice. Les cadavres
d'animaux que je croise sur ma route puent réellement la charogne, il ne s'agit
pas pour eux de faire semblant ! Les acteurs de mon univers jouent leur vrai
rôle, jusqu'au bout. Sans tricher. De cette manière, je vis les faits de mes
jours. Mes activités, de même que mes rêves, se révèlent grandeur nature. Je
touche la réalité brute, la vois de près.
Aussi, en longeant cette haie d'inquiétantes et pittoresques chimères, je
pénètre à chaque fois dans une nouvelle dimension de la sylve. Je franchis le
seuil d'un ailleurs qui demeure encore à échelle humaine. J'entre en contact
avec des légendes, comme si je contribuais à ressusciter l'imaginaire quasi
révolu d'un passé aux valeurs périmées, aux histoires désuètes, aux effigies
dépassées.
Autrement dit, en me dirigeant vers cette bordure de mannequins aux airs
fantastiques, je chemine vers un conte de fées.
Avec leurs branches séchées qui me font d'étranges signes et leurs racines
exsangues qui s'entremêlent, et bien qu'ils soient pétrifiés, ces épouvantails
semblent plus vivants qu'un film projeté sur une toile !
Ce monde forestier où je suis définitivement exilé se présente tel un grand livre
fabuleux plein de sève et de saveur, de fraîcheur et d'évasion.
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