Les sentiers partant de ma masure me mènent au bout... de chez moi. Ils
sont le prolongement de ma réclusion forestière, la continuité de mon radical
isolement, la confirmation de ma stagnation perpétuelle au coeur de la nature.
En empruntant ces voies sans autre issue que moi-même, paradoxalement je prends
mon envol : mon voyage commence là où précisément tout s'arrête.
L'enracinement dans ma forêt me donne des ailes. Je ne me suis jamais senti
aussi haut que les pieds posés sur l'humus. C'est lorsque je me trouve au ras du
sol, délesté de toute charge superflue, libéré des chaînes de la vacuité,
débarrassé des pollutions mentales de la civilisation, que je peux enfin lever
les yeux et y voir beaucoup plus clair, et finalement mesurer les vraies distances entre
l'homme et le ciel. Et puis éprouver le vertige de l'infini...
Chacune des directions s'offrant à moi au départ de mon foyer enfoui sous
les arbres est une aventure verticale. Quelle que soit la route choisie, elle me
fait monter dans mes nuages intimes. Prendre l'un de ces multiples trajets à
travers les bois équivaut pour moi à m'enfoncer encore plus dans ma retraite
sylvestre, c'est-à-dire à m'élever davantage. Plus je m'éloigne des villes et
des agitations vulgaires de la modernité, plus je m'approche des astres.
Dans ces sommets il y a la lumière, la paix et l'intemporalité.
C'est une course sans regret vers un idéal de simplicité. Je suis pareil à
un clodo des fourrés en marche vers le firmament. Comme un vieux fou rétrograde,
je remonte les âges en quête d'un siècle périmé. Tel un vagabond arriéré
traînant ses sabots dans les taillis, je poursuis un rêve d'ogre lourdement
botté. Ainsi qu'un fendeur de bûches bourru, je fonce vers un mode de vie
démodé.
Je progresse vers une époque révolue. J'avance à la rencontre de
l'anachronisme. Je vole dans des nues antiques. Bref, selon mes critères prestigieux de "saboteux" des futaies, de mon point de vue privilégié de gueux des broussailles, d'après mon regard affûté de renard en guenilles, je vais à l'essentiel.
A l'humble échelle de mon chapeau de paille, de mon trou de taupe, de mes
jours hors du temps, seul et heureux de l'être.
Naufragé volontaire dans mon asile de verdure, en me cachant ici dans
l'ombre à l'abri des bruits du monde, en réalité je voltige entre la poussière
des chemins et la flamme des étoiles.
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