Au promeneur que je croiserais dans la forêt, j'apparaîtrais aussi
misérable qu'un vagabond. Avec ma mine de hibou et ma dégaine de sanglier, on me
classerait certes comme une rustre entité plus proche de la bête des bois que du
bipède citadin. Ici au coeur de nulle part, environné de feuillus par milliers,
je n'ai plus à me soucier de mon allure. A qui devrais-je donc plaire ? Je n'ai
que mes amis les enracinés pour me juger : je me montre à eux sans mentir.
J'ai depuis longtemps troqué la finesse de la dentelle contre la
grossièreté du lin.
Mon existence de contemplatif solitaire est dépourvue des artifices
polluants et autres délicatesses superflues des gibiers de salons. Je laisse ces
mondanités aux rêveurs chaussés de semelles lustrées et encombrés de pensées
aseptisées.
Mon vrai confort se trouve dans la rudesse d'un mode de vie archaïque. Au
contact direct de la réalité brute, loin des mollesses de la modernité. Je
marche sur des moquettes de cailloux, m'étends sur des tapis de friche, pisse
dans le luxe des buissons, ne rencontre un peu de douceur que sur des mottes de
terre.
Fondamentalement, je suis fait pour progresser en sabots, m'attarder avec un bâton à la main, régresser sans électricité. J'ai une âme de bouseux, une sensibilité de bûcheron, une peau pareille à une écorce de chêne.
Ma mode à moi, c'est le chapeau de paille rapiécé et le sac à patates sur
le dos. Et rien qu'une ficelle en guise de fanfreluche pour nouer mon grand
manteau. Ainsi paré de ma redingote des grottes, je présente des séductions
d'ogre. Je me lave à l'eau de la rivière et me parfume à la fumée de ma
cheminée. Je sens l'animal des fourrés. Une odeur entre l'ours au pelage de
cendre et le vieux loup au poil de suie.
Dans mes atours d'épouvantail de la sylve, je suis plus beau qu'un faune
!
Je déplais certainement aux hommes éduqués, aux femmes en général, et même
à leurs caniches des villes, mais n'effraie point les troncs qui m'entourent,
les branches qui me couronnent, les souches qui me servent de trône.
Seul au milieu des herbes et des arbres, je vis telle une barrique de
rusticité débarrassée de tout sentiment d'urbanité.
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