Lorsque le jour se lève sur mon monde idéal, éclairant peu à peu ce paradis
végétal de friche et de solitude où je me suis enterré, je sors de ma tombe
comme une taupe de son trou et, heureux de ce nouveau matin, je bénis cette
énième journée d'exil qui s'offre à moi.
Sur mon île sylvestre, reclus parmi les étoiles et les cailloux, je
contemple l'Univers d'un regard d'homme des cavernes. Pour moi seuls importent
mes fagots, mes sabots, mes rondins de bois, mon âtre et ma marmite. Tout ce
décor fruste qui fait mon bonheur archaïque. Ma vue se limite aux choses à portée de ma main, mes besoins se réduisent à l'essentiel, je n'ai plus qu'une
sensibilité d'ogre.
Sur ces points-là je suis l'égal d'une bête : je vis sans artifice,
dévorant la lumière sans faire de manière. Dans mon environnement rustique et
avec mes sacs en lin sur le dos, je ressemble à un loup déguisé en humain. J'ai
définitivement choisi la simplicité, jusqu'à l'indécence, jusqu'à l'outrance,
jusqu'à la laideur : aux yeux des citadins qui me découvriraient au fond de ces
broussailles, j'apparaîtrais comme un croquemitaine.
Ici, sous ce toit loin des vacuités des cités policées, je ne m'embarrasse
guère de délicatesses superflues. Ma salle de bain, c'est le bord de la rivière.
Mon savon, c'est la cendre de ma cheminée. Mon eau de Cologne, c'est l'odeur des
bûches qui sèchent près du foyer. Je m'habille de rugosités et me parfume de
toutes les sèves. Je suis-moi-même une écorce, un tronc, une souche.
Je me présente ainsi pour traverser les profondeurs de la forêt et
atteindre le soir, plus farouche qu'à l'aube, enrichi par les heures pleines de
ronces et d'humus passées sous les arbres.
Mais il est temps de respirer l'air de la liberté. Il est encore tôt.
J'allume mon feu de misère : c'est une nouvelle éternité qui commence pour
moi.
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