Un jour je m'éloignai hors de mes frontières sacrées : poussé par la
nécessité, ou plus exactement par la tentation de l'inutile, je décidai de
sortir de mon paradis de broussailles, de m'écarter largement de ma forêt pour
me procurer un surplus de pitance ailleurs que chez mes fournisseurs
habituels.
On le voit, la vie d'ermite n'est pas exempte de chemin douteux... Mais
précisément, ces possibilités d'égarement font partie de toute retraite, aussi
profonde soit-elle. Ainsi je dépassai les limites strictes des quelques fermes
où je me rendais d'ordinaire, prolongeant mes pas vers l'inconnu.
Et plus je marchais, plus je sentais que je m'égarais. Dans tous les sens
du terme : aussi bien spatialement qu'intérieurement. Perdant tous repères au
fil de ma progression, mon but devenait vain. Kilomètre après kilomètre, je
prenais conscience de la vacuité de mon dessein : en allant quérir cette
carotte, je faisais l'âne.
Ma route vers la futilité prenant finalement la direction du vide, je n'eus
plus du tout envie de courir après ces trésors superflus qui au départ m'avaient
tant motivé... Je ne voulus plus y penser, préférant plutôt m'en retourner au fond de mes bois
retrouver mon pauvre foyer. Mais il était trop tard, je ne savais plus où
j'étais.
J'errais de plus belle, regrettant cette folie vulgaire qui m'avait envoyé
aux antipodes de mes véritables aspirations... Où aller ? Mon refuge idéal
consistait en un trou, un point unique, précis et restreint, et il m'était
inaccessible ! Je ne parvenais plus à remettre les pieds en ce lieu connu de moi
seul. Le centre de mon univers se trouvait désormais à l'autre bout du monde...
Mon horizon de "clodo de la friche" salutairement borné à l'essentielle
végétation venait d'être remplacé par les immensités découvertes d'un siècle de
béton, de sècheresse, de modernité : j'avais quitté la beauté pour la laideur.
Quel voyage !
La distance parcourue entre ma caverne de plantigrade et cet endroit que je
me désolais d'avoir atteint se mesurait surtout en termes symboliques. A ce
moment je réalisai que tout se passait dans ma tête.
En réalité depuis une hauteur opportune j'apercevais aisément la vaste étendue de verdure abritant mon asile.
La vraie différence entre mes jours paisibles passés sous ce toit isolé à l'ombre de la flore et les existences plus agitées de mes contemporains dans les fumées des villes était purement esthétique.
La vraie différence entre mes jours paisibles passés sous ce toit isolé à l'ombre de la flore et les existences plus agitées de mes contemporains dans les fumées des villes était purement esthétique.
Entre eux et moi, c'est comme de la merde et de la poésie posées sur un
même plateau. Des mets opposés proposés à qui en veut, il suffit de choisir...
Ces deux nourritures se côtoient, elles sont à portée de main, faciles d'accès,
proches l'une de l'autre dans l'espace.
Et pourtant infiniment éloignées par leur nature.
Bientôt je fus de retour près de mon âtre, protégé de la civilisation par
l'épaisseur de la sylve.
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