Au coeur de l'hiver, certains soirs de pleine lune au lieu d'aller ronfler comme un cerf dans
quelque grange ou plus chaudement dans une étable auprès des bestiaux, je décide de prendre un bain de lumière
nocturne, enjoué à l'idée de me retrouver seul à marcher à travers la
campagne. Je déambule alors dans le grand silence champêtre, attentif à la plus petite ombre, à la moindre vague de
brindilles. Le calme de l'immensité assoupie est parfois brisé par le cri des hiboux.
Dans cet océan de torpeur hivernale, une brise vaut une tempête.
Quel enchantement ! Le monde endormi devient mon royaume, moi le roi des
braconniers, moi le vagabond au chapeau rempli d'étoiles.
Je me dirige vers les habitations avec mes grosses bottes.
Tandis que les hommes dorment aussi lourdement que des bêtes et qu'une paix lunaire
rayonne sur les terres en repos, j'explore les mystères de la nuit. J'ai froid et je suis heureux. On dirait qu'il fait presque jour à deux heures du matin. Sélène ressemble à un soleil de glace qui fait étinceller les toits.
Cheminant ainsi sous le ciel embrasé d'astres, je me sens l'égal d'un spectre : léger, fluide et aérien. J'ai l'impression que l'extase me soulève du sol, que le poids de ma carcasse est le même que celui d'une plume. Et bientôt je crois voler dans le paysage blanchi de givre. Mes semelles d'ogre des neiges semblent m'emporter telles des ailes ! Mais non, je reste pourtant solidement ancré au plancher des vaches. Mon âme est si fine et si brûlante dans ces moments d'intense éveil, qu'elle se prend pour une comète.
Mes promenades aux apparences anodines se changent vite en voyages extraordinaires.
J'entre dans les villages en quête de muettes aventures, observant tout et
rien, musardant dans les rues désertes, cherchant de minuscules trésors à mettre dans mes poches et de folles découvertes à engranger dans mes rêves. De quoi nourrir
mon imaginaire d'histoires nouvelles et de flammes secrètes.
Le satellite irradie sur les jardins, répandant sa poésie jusqu'au fond des puits.
Et je contemple cet humble univers désolé et magnifique, moi le noctambule en vadrouille sous la Lune, moi le seigneur des gueux si loin des vivants, si proche du firmament.
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