Dans ma vie de vagabond à temps plein, il m'arrive de faire des rencontres
réellement extraordinaires. Ainsi un jour je croisai un sacré foutu personnage
sur mon chemin : moi-même !
Ou plus exactement, l'ombre de moi-même. Ou, pour être encore plus précis,
un anti moi-même. La totale contradiction de ce que je suis.
A bien y réfléchir, le terme "personnage" est trop flatteur pour qualifier
cette pauvre chose en forme de bipède. En vérité j'eus affaire à un bien
pâlichon oisillon : un digne représentant de la gent prétendument libérée des "soumissions du système"...
Un routard avec des écouteurs dans les oreilles et des fils lui sortant par
tous les trous ! Un de ces nombreux juvéniles paresseux à la dérive qu'a fait
naître ce siècle de tous les dérèglements.
Un homme sans chaîne, ça ? Mon oeil ! Plutôt un parfait esclave des écrans
!
Une loque branchée. Un SDF hyper-connecté. Un
pur déchet de la société en somme. Et de toute évidence abruti de la tête aux
pieds par son inutile technologie. A voir ce gringalet traîner la savate avec ses appareils portatifs
activés autour de ses orifices, on aurait dit un malade ambulant transfusé avec
des tuyaux. Ou un moribond en déplacement sous surveillance électronique...
Déconnecté du réel, plongé dans sa bulle de pures virtualités, il semblait m'ignorer. Il continuait à marcher sur la route en ânonnant des mots stupides :
il écoutait de la musique rap à s'en faire péter les tympans ! J'entendais
d'ailleurs les échos des ordures auditives qu'il captait à travers les
récepteurs collés à ses tempes. Plus de doute, j'avais en face de moi un crétin formaté dans toute sa splendeur. Une sorte d'animal dénaturé traversant la campagne
comme un robot, absorbé par son univers d'indigences numériques.
Je venais de me heurter à une autre
civilisation. La drôle de bête ne provenait visiblement pas de mon antique planète.
Ce type pathétique, là devant moi, déambulant dans la cambrousse avec son baladeur sur le
crâne incarnait le néant. Je devinais bien ce qu'il était au fond de sa molle âme...
Un écolo.
Ou un éternel assisté social, ce qui revient au même. Un de ces parasites toxiques
et pleurnichards qui se prennent pour des victimes du climat doublés de
justiciers de la verdure, des "amoureux de la nature" incapables de vivre à
l'air libre sans leur smarphone ou de se déplacer dans les bois sans leur GPS...
Nature qu'ils appellent religieusement "Mère Gaïa", eux les enfants à la peau
fragile et aux pensées flasques.
Je le regardai passer sans lui adresser la parole. Comment aurais-je pu
communiquer avec cet extraterrestre venu des profondeurs la ville ? Il
paraissait tellement captivé par les âneries que débitaient les instruments greffés
à sa cervelle... Je l'aurais certainement dérangé en voulant le saluer ! Je le laissai à sa misère intérieure.
Perdu dans ses inepties, le déraciné de la réalité ne fit d'ailleurs nullement attention à mon chapeau de paille.
Il disparut de ma vue aussi pitoyablement qu'il en était apparu.
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