Âgée de plus de cinquante ans et horrifiée par les plaisirs charnels, Mademoiselle Galante était devenue, à force d’abstinence enragée, une vache maigre,
gâtée et stérile.
Une bête en loques. Un animal trop laid pour que l’abattoir
l’acceptât.
Aussi se complaisait-elle stupidement dans son renoncement au bonheur : à ses
yeux cette privation de lumière qu’elle s’infligeait valait le prix immense de
son hymen. Elle s’imaginait rayonner, briller, éblouir sous prétexte de
virginité.
En fait, elle se momifiait.
Avec ses traits amollis, ses rides annonçant prématurément la tombe, son
double menton bovin, son corps osseux de macchabée desséché, elle inspirait
indifférence, froideur, tristesse. Et même rires. Mais le plus souvent, franche
répulsion.
Les hommes l’ignoraient, les épouses la prenaient en pitié, les enfants se
moquaient d’elle, les vieux la considéraient comme une des leurs.
Bref, cette injure aux vivants traversait le monde comme une gargouille
dans un jardin de fleurs.
N’importe quel humain raisonnable aurait conclu que cette chose hideuse à
moitié enterrée ne se préoccupait plus depuis longtemps des ivresses de la
jeunesse et des gloires de l’amour... Mais plutôt de la préparation de ses
obsèques.
Ces dix lustres d’échec et de misère passés sur cette Terre à tourner loin
autour du “péché de chair” non consommé, en effet, éclataient de vérité sur sa
face déjà morte. Cinq décennies de ruine amoureuse. Gravées par le burin de
l’ennui en lettres flasques, irréparables, contre son front défraîchi.
Emprisonnée dans ses valeurs frelatées, la recluse suintait la noirceur.
Les fruits de cet arbre pourri puaient la haine, la médisance, le malheur. Pour
l’Humanité, elle n’éprouvait que mépris.
Mais le temps fit son oeuvre.
Après une longue existence de célibat passée dans l’ombre et l’humidité des chapelles, une vie creuse consacrée à la poussière et la grisaille de jours pieux
vides de joie, un destin absurde dédié à la masochiste claustration dans sa
chambre de vieille fille transformée en caveau, et par-dessus tout, tirant un
orgueil démesuré de sa chasteté morbide, Mademoiselle Galante, ne pouvant tenir
plus longtemps ce siège de vertus hypocrites, avait décidé de passer à
l’acte.
Tenaillée par ses irrépressibles fureurs utérines, son salut ne se jouait
plus dans le Ciel mais dans les gouffres de ses désirs.
Enfoui sous une éternité de glace, le demi-cadavre fut assoiffé de
soleil.
Et plus exactement, de phallus brûlants.
Elle pensait pouvoir se délivrer des chaînes de la pudeur avec le premier
mâle qu’elle croiserait. Et s’en donner à coeur joie dans la débauche
rédemptrice, se refaire une santé en se laissant inonder par les flots les plus
féconds de Cupidon, abreuvant ses racines racornies de la masculine
allégresse.
Sauf que tous ces printemps sacrifiés au culte de l’hiver avait fait
d‘elle, au lieu du joyau de “pureté et de beauté” tant espéré, un champignon
noirci de vices.
Parfaitement repoussant.
La déception fut aussi rapide que brutale. La sotte inassouvie à l’anatomie
squelettique et au visage de ténèbres, imbue de ses faux mérites, gonflée de ses
vacuités, alourdie de sa graisse morale, ne trouva que railleries féroces et
hardis refus au bout de ses entreprises de séductions...
Cependant, à travers quelque détour que le sort réserve parfois à certains
infortunés, l’histoire de cette imbécile prit une direction inattendue...
Comique et providentielle.
La guenuche éconduite finit par tomber sur un ladre à la vue basse et de
toute façon peu exigeant quant aux affaires esthétiques, et surtout doté
d’attributs virils impressionnants pouvant combler ses plus inavouables appétits
de dépravée.
Elle emmena donc le gaillard dans sa glaciale alcôve en forme de tombeau
pour y savourer les plus immondes outrages.
Et là, l’innommable eut lieu.
Sous les assauts du paillard aux goûts douteux et monté comme un zèbre,
l’infâme femelle éructa d’ignobles crachats verbaux. De sa bouche grimaçante,
déformée par des sommets de frustrations, sortirent d’affreux jets
de fiels adressés à son curé, à tous les Saints de plâtre alignés dans l’église
du village et même à Dieu en personne, mêlés des plus révoltantes évocations
d’impudicités !
Et elle bavait, hurlait, blasphémait !
Même son corrupteur qui la besognait sévèrement sans s’embarrasser de
sentiments, fut choqué par ses mots, ébranlé de honte, déstabilisé par tant
d’immondices vomies sous son étreinte !
On taira toutefois ici ces sacrilèges issus du fumier de sa nature
déréglée. Voici plutôt, livrées aux lecteurs les plus aguerris, les déjections
orales plus “ordinaires” causées par les coups de tonnerre phalliques du
malpropre, qu’elle déversait sous formes de reliquats salivaires sur les draps
sales de ses ébats éhontés :
- Ha ! Charogne ! Fous mon missel en feu (elle voulait
dire “mon millefeuille”) ! Ha ! Bon Dieu ! Ha ! Saligaud de
couilles de chameau, tu vas bien me la loger comme il faut, ta matraque de
singe, n’est-ce pas ? Et jusqu’aux roustons encore, ha mais ! Tu vas
l’ensemencer par tous ses cloaques, cette foutue traînée puante que je suis ? Tu
vas me les faire crever avec ta grosse pine, mes putains d’ovaires avariés, dis crevure ?
Une fois ses flammes impures éteintes et après avoir copieusement offensé
les cieux et leurs hôtes, répandu aux pieds de son confesseur malgré lui ses
pensées libidineuses les plus abjectes, son esprit totalement vidé de ses
purulences, la dévergondée sentit en elle une transfiguration.
La neige vive déposée sur sa verdure endormie avait réveillé les meilleures
graines de sa personnalité.
Et fait fleurir son âme.
Désormais elle bénissait au lieu de maudire.
Certes elle offrait à la vue (atténuée) de son amant la même vilaine figure
qu’avant et faisait ricaner toujours aussi cruellement les bambins au coin des
rues.
Mais depuis le siècle révolu de ses premières règles, on pouvait voir chez
Mademoiselle Galante une femme heureuse.
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