A Clinchamp végète sur sa minuscule propriété un homme simple nommé Emile,
peu connu du reste des habitants du village.
Avec ses allures d'oiseau rare, de joyeux épouvantail, de jardinier d'un
autre monde, il cultive sa différence.
Reclus dans son potager, bien isolé dans son coin, épargné par le fracas de
ce siècle, il est heureux d'être ignoré de tous.
Une modeste haie le sépare de la société des connectés, des citadins bien
vêtus et des écrans de toutes sortes... Là, bien caché dans son refuge
horticole, il passe ses jours à observer les saisons, à contempler les nuages, à
regarder pousser salades, carottes, patates et fleurs.
Et à attendre que sa petite terre récompense ses efforts.
Son humble toit qu'il ne quitte quasiment jamais lui sert de château fort
contre les agressions de la modernité. Véritable rempart de pierre et de
légendes, antre obscur hors de nos standards de confort et de nos normes
esthétiques, sa maison recèle des trésors anachroniques et poussiéreux qui n'ont
de sens et de valeur que dans la pénombre paisible où ils respirent encore comme
de vivantes reliques d'un passé oublié...
De vieilles choses ancestrales, sans prix, dérisoires et sublimes... Tels
que : balai à brindilles, chandelles usées, chaises en paille, cruches à eau,
horloge au cadran noirci, vastes corbeilles d'osier accrochées aux murs nus,
chapelets d'ail suspendus aux poutres, tas de fagots et amas de bûches de bois
entreposés à même le sol battu... Une atmosphère chaleureuse et surannée se
dégage de ce foyer paysan d'un âge révolu.
Bref, ce rescapé de notre temps vit chez lui à l'ancienne, sans électricité
ni eau courante. Pas malheureux du tout, bien au contraire. Comblé par son
existence loin des villes, il ne cherche qu'à demeurer dans son royaume de
sobriété et de silence. Il savoure son exil social, conscient d'être un
privilégié se tenant en retrait des incessantes et stériles agitations humaines.
Proche de l'âtre et du sillon, il est à l'écoute du vent, des arbres, de la
faune.
La flamme de la cheminée, sa seule source source de lumière avec ses
bougies, lui suffit pour accompagner ses longues soirées solitaires. Sous cette
pâle clarté autour de laquelle tournent des papillons de nuit, il prend un repas
rustique puis veille en rêvant, satisfait de ses oeuvres maraîchères.
La nuit, il sort parfois de son trou pour aller vagabonder sur les chemins
à travers la campagne endormie, la semelle crottée de bouse de vaches et la tête
dans les étoiles. Il vogue alors dans le mystère des heures nocturnes de cette
contrée comme dans un espace infini.
Et retrouve son lit après deux heures d'un véritable voyage dans les
ténèbres, cueillant pour cette journée qui s'achève la dernière tige de ce
bouquet de bonheur à portée de main.
Cette félicité qui l'attend chaque matin juste au seuil de sa porte, exactement sous le ciel de Clinchamp !
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