Je connais une forêt sans nom où se perdent les promeneurs et meurent leurs
rêves.
A toute heure de la journée et quelle que soit la saison, elle demeure
effrayante. L'ombre y est permanente et une étrange tristesse pénètre sa
verdure. Tout y est foncé, noir, lourd et silencieux. Au détour de chaque
sentier on y croise le désespoir.
C'est le royaume de la nuit, du deuil et de la solitude.
Les arbres de cette sylve maudite ne sont pas comme les autres. Grands,
austères, sombres, menaçants, ils s'élèvent dans des hauteurs inquiétantes.
Leurs branches sinistres donnent l'impression qu'elles étreignent les ténèbres.
Et, à l'occasion, ravissent les égarés.
En effet, pareilles à des bras de spectres, elles semblent vouloir enlacer
tout ce qui passe sous leurs feuillages. Dans l'ambiguïté des choses et
l'incertitude des circonstances, elles effleurent les hommes de leurs doigts de
sorcières. Et là, plus personne n'est sûr de rien...
Elles les touchent du bout de leurs feuilles et les pauvres flâneurs
affolés ne savent pas si c'est juste le vent ou si c'est le diable.
Les troncs de ces augustes entités font penser à des calvaires. Et à leurs
pieds nul n'ose s'adosser. Dans cet espace hors des jours ordinaires, le bois
mort ressemble à des os gisant par terre. Le sol jonché de cadavres végétaux
prend alors des allures de vieux cimetière abandonné. Ce lieu n'inspire aucun
sentiment de réconfort. On dirait un monde de naufrage, la fin d'un voyage, le
commencement d'un cauchemar, une mésaventure vers l'inconnu, le chemin menant à
un gouffre.
Cette nature lugubre n'est cependant pas pour me déplaire.
L'atmosphère de féerie funèbre qui se dégage de cet endroit peuplé de
fantômes vêtus d'écorce enchante mon coeur de loup. Je suis fait pour me frotter
à leur peau rêche, caresser leurs épines, me lover dans leurs racines, dormir
sur leur humus et me laisser emporter par toutes les voix nocturnes. Le cri de
la chouette effraie dans l'obscurité me comble d'une joie d'ange sauvage et les
bruits indéfinis autour de moi, tels des chants célestes, bercent mon sommeil de
bête sylvestre.
Ce qui déprime ou terrifie le banal mortel allume en moi de délicates
flammes de bonheur. Les stèles me charment et les rats me séduisent. Les chênes
aux apparences d'ogres et les crépuscules de plomb sous les frondaisons forment
les merveilles de mon existence de coureur des futaies.