On pourrait dire que ma réclusion à perpétuité ressemble à un roman
monolithique dont l’intrigue se résumerait à ma vie de misère.
Mais un livre vide, sans histoire, fait de pages blanches, de lignes
absentes, de phrases inexistantes. Une oeuvre absurde et inutile racontant pour
personne d'autre que moi-même des dizaines de milliers de jours perdus dans le
néant de l'enfermement.
Une existence aberrante, sacrifiée pour payer un crime. Le prix de la
pénitence. Le pain de mon péché.
A travers toutes ces décennies confinées dans un espace si étroit, j'ai
écrit avec ma seule ombre l'équivalent d'un monument homérique : à l'encre de
l'ennui, sur la feuille noire du temps carcéral, pour un public de
fantômes.
J'ai réussi cet exploit minable là au coeur de ma cellule, au centre de ma
solitude, loin de cette société de gens libres au sein de laquelle, adulte, je
n'aurai finalement pas vécu.
Comme tous les détenus malgré eux, par mon unique présence sous les
barreaux, en terme d’originalité, plus précisément de contre-modèle, j'ai pondu
l’égal d’un pavé romanesque. Un volume creux qui ne sera ouvert par aucun
mortel. Un ouvrage sans intérêt voué au mépris, négligé, égaré, oublié quelque
part sur les étagères de la désolante bibliothèque des naufrages humains. Si un
auteur fou s’amusait à mettre ma biographie en prose, il sortirait de sa
plume une création aussi captivante qu’un annuaire téléphonique.
J'ai produit cette chose pitoyable que nul ne verra jamais : le récit plat
et silencieux de ma captivité. Rédigé en lettres mortes.
J'ai fait naître virtuellement cet objet livresque comparable à un monstre
de vacuité, juste en tournant autour des murs de ma geôle.
Pas à pas et heure après heure s’est manifestée l’immensité de ma détention
: le rien.
Pour moi ces années à croupir dans ces neuf mètres carrés austères
constituent une montagne implacable, un véritable calvaire à l'échelle d'un
destin, une épreuve de géant. Mais ce sommet de souffrances individuelles du
criminel que je suis restera une simple poussière vu de l'extérieur, étant donné
que je ne compte plus pour le monde. Pour toujours je demeurerai un homme
invisible aux yeux de ceux du dehors.
J'expose froidement tout ce qui précède de façon concrète, au stylo sur mes
papiers de brouillon, assis à ma table. Mais ces mots-là, aussi vrais que
possible, qui les lira réellement ?
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