C’était à la fin du jour, lors d'un interminable crépuscule de septembre.
Parti de Sens, je somnolais à demi sur le siège passager de la cabine d’un camion filant vers Paris. A travers la vitre j’observais la plaine, l’horizon, l’atmosphère : dans mon oeil ces trois éléments ne formaient qu’une seule flamme.
Au-dessus de moi, des lambeaux de nuages. vastes, épais, noirs. Par endroits des lamelles de feu irradiaient la nue, des traits de
ciel crevaient la masse opaque : le rouge se mêlait au bleu sombre et l’océan
aérien n’en paraissait que plus vivant, fécond, plein d’une sève éclatante.
Je m'abreuvai directement dans ces nuées, m'étourdissant de ces vins brillants et mystérieux...
La nuit arrivait, le poids-lourd bourdonnait et de
temps en temps me secouait. Le chauffeur écoutait la radio, indifférent à mon
silence. Moi je ne sentais rien, n’entendais point, ne voyais même plus la route
défiler, j’étais ailleurs.
Au coeur de l’orage, au calme. En pleine lumière.
Je devinais que derrière ces brumes,
par-delà ces tempêtes, au-dessus de ces ténèbres, les ombres brillaient comme des soleils. Je percevais des loups aux regards d'ange, des visages millénaires aux airs d'oiseaux, des flots de neige aux allures sidérales...
Alors je vis une présence descendre des hauteurs... Une splendeur aussi éblouissante que la glace. Tranchante et translucide, entre pierre et onde, matière
et éther, roche et écume.Je ne puis mettre que des mots imprécis sur cette réalité inhumaine. Plus lointaine qu'un rêve, l'apparition semblait venir du fond de la Création.
Des clartés qui ne sont pas de ce monde se sont levées sur mon âme. Des
pensées émergeant d'autres espaces ont envahi mon être. Fulgurantes, profondes, incommunicables.
Des images surgies d’un univers inconnu sont venues
frapper mon esprit, une ivresse issue d’une liqueur céleste a bercé mon
coeur.
Des points d’interrogation émanant de l’altitude tombaient sur ma tête. Je n'avais plus de parole mais
j’avais des ailes. Je me découvrais l’égal d’un hôte du firmament. Et je me savais éternel, immense, magnifique, parce que ce rivage que je venais d'aborder était semblable
à moi : éternel, immense, magnifique.
C’était il y a 22 ans, en 1992. Je ne me souviens plus de la trogne du
camionneur ni de ses propos, pas plus de la couleur de son bahut mais je n’ai
rien oublié de ce couchant, de ces lueurs du soir où tout était devenu étrange et pourtant si réel...
Rien oublié de ces nébulosités, de ce qu'elles me révélaient au-delà de leurs apparences.
Et ce qu’elles me dévoilaient préfigurait l'infini, l'incommensurable, l'inconcevable.
Un inaccessible finalement très proche.