Je traîne un siècle derrière moi.
Je suis jeune, très jeune : j'approche de l'âge zéro, le dernier jour de mes rides. A la veille de mon trépas. Quand on a cent ans, quand on a vécu, quand on est déjà mort, on est au-delà de la vieillesse, on redevient une flamme.
Alors je brûle. Et vacille... Mais vais me rallumer de l'autre côté. Déjà je distingue des formes à travers le voile.
Et je vole vers ce nouveau ruisseau, me laisse glisser mollement dans cette clarté étrange et belle. Je dois tout oublier pour mieux me libérer de ces cent années d'homme et monter vers l'azur.
Mais d'abord, je désire une ultime ivresse.
Lâcher prise oui, après avoir revu les grâces et onctions de ma vie. Sourire au monde et à la fin, le quitter.
Je suis en paix, je pars le visage fatigué mais l'âme claire, le dos courbé mais le regard droit. Je veux revoir quelques empreintes de mon passage sur cette terre, revivre ce temps passé, bénir toutes ces choses, louer le sort.
D'un souffle ou deux de plus, le Ciel m'accorde cette faveur.
Aussi je porte ce bonheur final à mes lèvres : un verre de mes souvenirs les plus doux accompagné de quelques brumes d'hiver. Avec, peut-être aussi, un chant de corbeau.
C'est tout ce que je demande, avant d'aborder le grand horizon.