En 1985 un grand événement allait bouleverser les habitudes de la petite bourgade sarthoise nommée Conlie : l’installation d’un magasin COMOD.
Quasiment un fait historique, à l’échelle de ce haut lieu de la ruralité.
“Un COMOD ouvre à Conlie !” Ces mots entendus là-bas en 1985, qui
auraient semblé anodins pour le reste du monde, contenaient en réalité de quoi
électriser la cité pour des lustres.
Bref, l’arrivée de cette supérette dans cette contrée reculée, pour ne pas
dire arriérée, se fit en grande pompe. A grands renforts de prospectus illustrés
distribués dans les boîtes aux lettres.
Du papier glacé destiné à présenter la direction, les employés, les étals,
mais surtout les produits pas chers du COMOD. Ainsi la population conlinoise (et celle des alentours) fut avertie de l’entrée fracassante
dans sa vie de l’enseigne COMOD.
Sur ces brochures le directeur et ses salariés affichaient tous de larges et francs sourires. Il y avait la jeune caissière avenante, le responsable de la boucherie
à la moustache sympathique, le magasinier à l’air bonhomme, la secrétaire à
l’allure professionnelle... Tous avec le visage épanoui et le coeur dévoué à la cause de la petite surface COMOD et ses clients... Dans ces dépliants publicitaires, ces commerçants apparaissaient sous leur meilleur jour, heureux de vivre sous
l’étendard “COMOD”.
Leur force de frappe : les boîtes de conserves à portée des destins les
plus ternes. Leur slogan : “Les Prix Sourire”. Une devise supportée par un logo
ocre sommaire mais explicite : deux traits recourbés vers la verticale en forme
de jubilation béate.
L’épicerie a connu son âge d’or vers 1990. Avant de lentement, très
lentement ralentir.
Entre temps un SUPER U est venu fleurir en périphérie du bourg. Excentré.
Ce qui a fini par tuer le peu d’animation qui survivait encore au
centre-ville.
Progressivement le coeur de l’agglomération s’est endormi. Mollement, dix
années se sont écoulées. Puis, mortellement cette fois, encore dix années. Au
bout de vingt ans, l’inertie la plus totale est venue se cramponner à cette
localité.
J’ai longtemps observé le sort de ce libre-service et de son personnel.
Négoce qui a même changé d’enseigne en 2005 pour devenir un “HUIT à 8”, ce qui a
dû constituer un tournant, et même un tonnerre dans leur minuscule univers,
j’imagine... Et peut-être aussi chez les acheteurs. Plus de trente années que du
coin de l’oeil je vois vieillir, se transformer ce COMOD et ses vendeurs.
Je sens alors la douloureuse pesanteur de ces destinés figées dans des
ambitions de boutiquiers de sous-préfecture, de ces âmes sans flamme ayant
réduit leur existence humaine à ces carrières professionnelles piteuses et
mesquines. Et je souffre pour ces hommes et ces femmes à présent proches de la
retraite, bouffis de satisfaction, aux tailles épaissies par la routine et aux
traits enlaidis par le temps.
J’ai mal de voir ces gâchis d’actions, d’esprit, de pensées, de force,
d’énergie, de vitalité, de richesses intérieures...
Aujourd’hui, après que ces gens se sont consacrés au service du rien, je
constate que la petite ville de Conlie est morte, ensevelie dans le sable de la
vacuité et du néant.
Et ses habitants sont aussi amorphes et béats de stupidité que l’icône
jaune des “Prix Sourires”...
Et depuis l’ouverture de ce COMOD en 1985 leur monde n’a pas avancé.
Des aventures humaines ont encore été gaspillées sur cette Terre.
A Conlie, plus précisément.
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