Aujourd'hui c'est jour de tristesse : le malheur est à l'honneur et la fête sera particulièrement ratée.
Dans la salle de réception aménagée pour l'événement, le couple de gâteux guindés a
décidé d'enterrer dignement le temps qui passe, l'air de rien.
Leurs amis ont répondu présent !
Sans oublier leurs fardeaux. En effet, ils sont tous venus avec leurs yeux dans le vague, leurs idées périmées, leurs âmes déprimées et
surtout leurs visages ridés.
Tous ont bien été avertis qu'en cette occasion spéciale les sourires seront superflus. On n'est pas là
pour rigoler !
Mais pour s'alléger dans la gravité. Le grand âge a ses exigences...
L'horloge-cercueil sonne les vingt coups fatidiques. Tout le monde est là.
Le service peut commencer. La maîtresse de maison, austère, est aux anges :
enfin des têtes nouvelles chez elle ! Pour la changer de la face de pou de son
époux.
Dehors la pluie tombe, dedans le piano gémit, et tout au fond de ce trou la soirée est mortelle. Il fait sombre dans
les coeurs, les têtes broient du noir et la nuit s'annonce sans éclat.
Les lampions sont ternes, les plats maigres, les mines sinistres
Et les invités se morfondent à la table du deuil.
Il faut dire que les mets froids et les verres vides sous leurs trognes de
rats crevés ne les mettent guère en joie...
Pourtant il leur faudra demeurer assis et subir.
Après avoir enduré le supplice de cette interminable messe, les mangeurs affligés sont à point. Achevés par les banalités obligatoires à échanger et le ballet léthargique des insignifiances d'usage à avaler, ils somnolent.
Au summum de la festivité, l'ambiance n'a pas
changé d'un poil : des louches de grisailles remplissent les assiettes et des promesses d'un lendemain pesant pétrifient les esprits. Et, tandis que les sabots de la
fatigue et le plomb de la morosité écrasent l'assemblée dans une torpeur
désespérante, les cadavres rassemblés pour cette gastronomie indigeste causent de choses sans intérêt.
Ils parlent creux. Remplissent stérilement le silence. Meublent les blancs.
Brassent du néant. Bref, les convives n'ont rien à se dire.
Mais ils le font avec des allures sérieuses et des regards éteints.
Leurs mots lourds s'aplatissent à terre et se mêlent à la poussière. Ils comptent leurs heures inutiles et attendent que plus rien ne leur
arrive.
Longtemps après minuit, le festin d'enclumes se termine enfin. Sur la pendule endormie, le doigt du cadran indique leur vie perdue.
Hôtes et participants sont tous morts.
D'ennui.
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