Il était toute la légèreté du Vieux-Mans.
Une sorte d'entité illustre et furtive, une légende colorée du quotidien,
une allégorie aux ailes vives virevoltant dans l'air de notre temps.
Sa carcasse élancée reconnaissable de loin annonçait invariablement de
bonnes nouvelles : il passait dans les rues en laissant derrière lui un sillon
de bonheur. Ses mots bénissaient et jamais ne maudissaient.
Il apparaissait comme le printemps sur les pavés, l'aube au-dessus des
grisailles de la ville, l'étincelle au sein des torpeurs dominicales, le soleil
sous la pluie : le personnage brillait en maintes circonstances et en toutes
saisons de sa seule présence entre les murs de la cité antique.
Authentique surprise du jour, il offrait des fleurs aux passants qu'il
croisait. Avec plein de fraicheur dans le coeur et autant d'azur dans les
yeux.
Sans autre raison que par sincère amour de ses semblables.
Il abordait les gens de sa mine radieuse, qu'ils fussent riverains de
toujours ou simples oiseaux de passage, et dans un geste de gratuité aux accents
délicieusement surannés, fleurissait leurs poches d'une rose éternelle ou bien
d'un coquelicot éphémère.
Sa façon à lui de laisser sa signature sur les âmes : tout en
délicatesse.
Avec ses allures de papillon auguste, sa longue silhouette élégante, sa
barbe de lumière et sa face grecque, il ressemblait à une statue palpitante.
Christian FROUIN, aussi surnommé "Frou-Frou", brûlait d'idéalisme,
s'enflammait de compassion pour ses frères humains, lui qui déjà très tôt dans
sa vie fut meurtri par l'Histoire.
Eprouvé par les tourments de son siècle, il avait su conserver intacte sa
foi en l'espèce pensante.
Il croyait en le meilleur de l'Homme, laissant le pire au passé et
peut-être aussi au pardon. Et préférait embellir l'avenir de son large sourire
rempli d'espoir.
Véritable jardinier de la joie, il cultivait les beaux sentiments pour
mieux récolter les richesses de l'Humanité.
Certes il n'appartenait pas au même camp que moi. Et se situait même
radicalement à l'opposé. Lui le rouge, moi le bleu. Lui le progressiste, moi
l'extrêmiste. Lui le doux, moi le dur. Pourtant j'éprouvais de l'estime pour cet
adversaire idéologique. Bien qu'il fût athée, très à gauche et passablement
rêveur dans ses prises de position, Frou-Frou se révélait un être foncièrement
juste et naturellement bon, animé d'une flamme humaniste très pure.
Il incarnait la bienveillance et l'altruisme. Et je sentais en lui un
souffle des hauteurs, entendais un évangile des sommets, percevais un trésor
universel.
Il est parti droit au Ciel, je le sais.
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