Vous aimez le soleil, les roses et le printemps. Le sable des plages d'été
comblent vos aspirations sans prétention et vous vous roulez lascivement dans
l'écume qui vous caresse.
Vos rêves sont ceux de tous les vacanciers de la planète. Votre bonheur
vaut celui de vos voisins : c'est également l'idéal de votre concierge et le but
ultime de votre épicier.
Vous êtes des romantiques, des sensibles, des pots de fleurs.
Moi je préfère les averses de mars, le grésil de janvier, l'ombre des
labours, l'effroi du crépuscule, le glas des églises et les dimanches de mort
noyés dans la brume.
Mon coeur de corbeau se nourrit des splendeurs de la tourmente, des flammes
de la nuit et des profondeurs de la terre. Et si je savoure la légèreté de
l'azur à sa juste mesure, je sais aussi me réjouir de l'âpreté de la pierre, de
l'éclat de l'obscurité, des merveilles de la froidure et de la douceur des
épines.
Mes amis sont les rats importuns, les hiboux ambigus, les chats solitaires,
les passagers nocturnes et autres présences mystérieuses.
Quant aux femmes, elles me plaisent avec des yeux de chèvres et des corps
de louves.
Lorsque je sors de mon antre, je porte des bottes pleines de boue, un grand
chapeau sombre pour faire peur aux enfants, un manteau vaste qui me fait
ressembler à un épouvantail. Ce que je suis, d'ailleurs.
Ma vie est une longue marche vers l'horizon, le temps, la mort.
Je traverse votre siècle sans même l'effleurer : je n'appartiens pas à
votre monde.
Je demeure dans mes sommets austères pleins de sens et de densité. Ce qu'on
pourrait appeler "les neiges éternelles de la pure et glaciale poésie".
VOIR LA VIDEO :