Maintenant que je n'en finis pas de crever à l'ombre à petit feu, à présent
que je suis installé dans ce trou qui me sert de tombe depuis assez longtemps
pour y broyer du noir e permanence, je peux dire que j'ai pris la couleur des
lieux et que j'y ai même gagné une vraie tête de taulard !
Avec ma boule à zéro, ma mine patibulaire, mon regard de loup pris au
piège, je ne ressemble plus à rien. Ou plutôt, on m'assimile volontiers à la
pire partie de l'Humanité. Pas de quoi en tirer gloire, certes.
Pourtant, je ne me trouve pas si mal que ça dans ma nouvelle peau de
bête.
J'ai l'impression d'être habillé pour le restant de mes jours, prêt à
traverser les années sans faire de chichis. Je traîne une carcasse passablement
allégée, ainsi débarrassée des artifices de la civilisation des gens libres...
Au moins ici, plus de possibilité de mentir en portant des vêtements aussi
rutilants que trompeurs et en s'affichant avec des cosmétiques sophistiquées
pour être honnêtes.
Je suppose que je dois faire peur avec mon allure d'épouvantail. Il faut
reconnaître que ça me donne du style, une certaine hauteur, et peut-être aussi
une forme d'élégance ultime, un air de condamné aux galères. Une sorte de fuite
de la réalité. Comme si j'étais devenu un détenu de roman, un prisonnier hors du
commun, un engeôlé enjôleur.
Mon apparence crée un contraste remarquable avec les tenues réglementaires
impeccables du personnel pénitentiaire. Cela me distingue, je me sens un peu
moins anonyme que sous mon froid numéro d'écrou. Je cherche la moindre once de
chaleur, la plus modeste parcelle d'humanisation, n'importe quelle source où
boire de la lumière.
Enfermé dans ma cellule au coeur d'un néant, je n'ai plus que ma face de
rat à contempler dans le reflet de l'eau de mes chiottes !
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