Suis-je en train de perdre la raison ? Ou au contraire serais-je devenu accessible à des réalités cachées à force de demeurer en contact intime avec les
murs de ma solitude, ici au coeur de ma cellule ?
Du fond de mon tombeau allumé en permanence (la nuit l'éclairage baisse
juste un peu d'intensité), je vois parfois des reflets étranges, capte de temps
en temps des phénomènes que je n'explique pas, perçois en certaines occasions
des formes furtives échappant à toute analyse rationnelle. Comme si un monde
invisible se manifestait à moi.
Tandis que je me trouve seul dans ma pièce de captivité, des choses singulières surviennent au sein même de mes neuf mètres carrés. L'ambiance
change, je me laisse emporter vers un autre univers. Cela débute par une impression
d'intrusion : des entités pénètrent ma sphère privée bornée
par les barreaux. Elles envahissent l'espace étroit de ma geôle et s'y meuvent à
leur aise. Je sens leur présence dans le silence qui m'entoure. Je n'ai pas
vraiment peur, je suis surtout curieux de découvrir ce qui se passe, attentif à
cet inconnu qui s'ouvre à moi.
Ces expériences se révèlent subtiles et très personnelles certes, elles sont cependant
bien réelles, de mon point de vue. Rien de ce qui m'apparaît là ne ressemble à un
rêve.
Des figures énigmatiques surgissent et s'animent au milieu de mon gouffre. Âmes indéterminées tournant follement en mon lieu de réclusion pour y apporter un peu de leur légèreté ? Esprits s'invitant dans
mon trou d'oubli afin d'y meubler opportunément le vide de leur flamme ? Bien que cela semble paradoxal, ces natures brumeuses sont loin de dégager de sombres
intentions. Il émane de ces visiteurs immatériels une douce clarté. Et ces intrus venus de je ne
sais où, non contents de me tenir obscurément compagnie, m'adressent également des
signes. Des messages que je cherche à déchiffrer.
Je ne comprends ni le pourquoi ni le comment de ces faits. Peu importe : ils se
présentent à moi telle une certitude de fer. Aussi éclatants que des étincelles. Je ne doute nullement de leur
existence.
Qui sont ces êtres ? Que me veulent-ils ? N'ayant aucune réponse, je me contente de l'essentiel : leur bienveillance me suffit.
J'ai affaire à un mystère, pas à de simples illusions. Des événements
impossibles à prouver mais tellement prégnants !
Entre la banale démence et l'irruption d'un ailleurs, je penche pour la
seconde hypothèse : bien que ces images prennent des apparences vagues, elles
s'imposent de manière trop évidentes à ma conscience pour que je les relègue au
rang de troubles de la pensée. Il serait facile et néanmoins malhonnête de tenter d'interpréter
l'impalpable à travers un discours purement psychiatrique.
Cela bien sûr dépend des personnes, mais en ce qui me concerne je crois que le fait
de vivre reclus pendant une longue période implique nécessairement des
changements dans ma perception intérieure. Au départ je pense avoir assez de prédispositions pour que ces rencontres se réalisent. Ce qui n'est pas forcément le cas pour tous les détenus. Isolé dans mon antre de métal et de béton, et par
conséquent de plus en plus introspectif, je m'évade non par l'extérieur mais en direction de mes profondeurs.
Et aux heures propices je deviens progressivement sensible aux secrets de l'intangible et finis par me mettre à
l'écoute du calme tout autour de moi. Dans ces rares
moments où la prison est plongée dans la torpeur, des têtes sortent de nulle
part et parlent à ceux qui gardent les yeux ouverts.
Alors commence pour moi le grand théâtre des ombres.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire