Sillé-le-Guillaume un dimanche morose au zinc du coin.
Le patron, des cadavres dans le regard, sert sans conviction des bières
aqueuses et éventées à quatre clients désabusés, déprimés et définitivement
sclérosés dans leurs habitudes provinciales sans issue, sans espoir, sans
joie.
Il est quinze heures et rien ne se passe. Le vide, l’ennui, le silence
hantent les lieux. Ambiance mortelle de pot-au-feu refroidi pour vieillards
léthargiques...
Personne ne parle, le patron encore moins que la clientèle. Respectant la
torpeur des autres, chacun regarde droit devant soi. Les consommateurs n’ont pas
l’air de se connaître entre eux, ou alors peut-être de vue.
La télévision est allumée sur une chaîne sportive mais nul ne la regarde ni
ne l’écoute. Les quatre buveurs demeurent prostrés devant leur verre, assommés
de néant, paralysés par leur mutisme, figés dans cette heure dominicale si
particulière où toute vie s’arrête.
J’observe, fasciné.
Je scrute les quatre visages (celui du patron je le connais déjà).
Et sur leur front je lis des pensées plates, aussi fades qu’un almanach de
sous-préfecture...
Dans leurs yeux brille la pluie. Sous leur casquette tonne
l’INSIGNIFIANCE.
Sur leur table s’étendent des rêves à leur portée, aussi brefs que triviaux
: gains au tiercé, météo du lendemain, prix de la salade...
Ces gens immergés dans cet océan de grisaille ne semblent pas conscients de
leurs aspects de cercueils, il font juste partie d’un décor fatal et funeste qui
leur colle à la peau et les dépasse. Ils sont dans leur monde. Et ne se posent
pas de question.
L'écran continue de débiter inutilement des informations sportives
soporifiques au milieu du silence général des hommes ensommeillés et des mouches
amollies, ce qui produit l’effet d’une grande intimité dans le bar. Et d’un
malaise.
En sortant de ce bistrot, ma mauvaise chope vite avalée, soulagé de changer
d’air, je sais que je n’oublierai jamais ces quatre taiseux ternes et morbides aux
allures d’épouvantails d’un quotidien à dimension humaine, comiquement,
tragiquement humaine.
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