Mon voisin du dessous,
Depuis que Coralie est partie, à qui d’autre veux-tu que j’écrive ?
Certes elle est toujours au Mans -elle s’est exilée dans le quartier du
Miroir- (je n’ai pas son adresse exacte), mais je ne la vois plus et
elle n’a jamais répondu à mes lettres d’amour. Il ne me restait guère de
choix.
Après son départ j’ai un peu perdu le goût de l’espionnage mais pas celui
du rêve. Coralie était à deux pas de mon coeur mais toi Pierre tu es juste sous
mes pieds. Jour et nuit.
Notre muette, ténue aire de contact se situe exactement au niveau de la
jonction de ton ciel et de mon sol. C’est une relation mince, minimaliste mais
essentielle, structurelle, constituée par la rencontre de mon plancher et de ton plafond. Nos édifices s’imbriquent et se soutiennent mutuellement.
Mais ce n’est pas seulement une affaire de surfaces et de murs, de pierres
et de toit.
Il s’agit d’autre chose et tu le sais.
J’ai une amante.
Tu la connais et ma compagne Isabelle n’ignore pas non plus qui est sa
rivale. C’est pour cette égérie que j’ai provoqué Coralie et c’est encore en son nom
que tu lis ceci. C’est d’elle dont je veux te parler. De l’élue de mon âme. Et
cela te concerne intimement.
Ce n’est pas une femme, c’est une flamme. Pas un visage mais une vague. Ce
n’est pas une silhouette, un corps ou une chair mais un follet. Ce n’est pas une
allumeuse non, mon amante, en un mot, c’est la Lune.
La Poésie je veux dire.
Je ne comprends pas tous tes textes. Je les lis, je les survole, je les
regarde de loin, ils me font peur.
J’espère seulement que tu ne la trompes pas Pierre. Par ignorance,
maladresse, manque de lucidité, par coupable myopie. Même ta jeunesse, sage ou
folle, serait la dernière raison de lui être déloyale. Mais non, je sais que tu
es digne de la Plume...
La nuit lorsque je veille, emporté par mes pensées radieuses, bercé par mes
fantasmes idéaux, je l’imagine, elle, à tes côtés... Et je suis en paix, heureux
de te savoir, peut-être, en concert avec la joueuse de luth. Et tu es sous mes
pieds, à trois heures du matin, comme un foyer au coeur des ténèbres.
Et quand elle est là, quand elle descend sur toi Pierre, quand elle vient
te hanter dans le silence nocturne, je l’espère, je le sens, je le sais, alors
c’est pour moi un peu le salut du monde.
C’est pour ces seuls moments d’intimité avec elle, la Poésie, que vaut
toute l’existence. La mienne, certainement. Et la tienne aussi, à toi de
savoir.
Entouré de béotiens, sots manceaux du premier jour, animaux stupides en
quête de ginguette juste en face de l’Escalier, monstres de citrons placides,
insipides concierges du temps indolent qui passe, je prends la mesure du jour à
grands coups d’enclumes.
Mais aux heures bénies de mes longues veilles, tandis que l’astre blond me
tient en haleine, je m’interroge avec délices sur tes ivresses secrètes avec la
muse, là juste sous mes pieds.
Quand je te croise, bien sûr, je perçois la malice dans ton regard,
l’éclair de ces nuits attendues. Et dans mon oeil ce que tu vois Pierre, ce que
tu me prends, ce que je t’envoie, ce que j’offre au monde, ce que Dieu m’a donné
-et c’est pour cela que je passe pour un dément, même à tes yeux-, ce
n’est rien d’autre que le feu de la lyre.
Signé : ton voisin du dessus.
VOIR LA VIDEO :
https://rutube.ru/video/0692ef19c3495081cabd1dbb93922437/
http://www.dailymotion.com/video/x1cl383_lettre-a-mon-voisin-du-dessous-raphael-zacharie-de-izarra_news
VOIR LA VIDEO :
https://rutube.ru/video/0692ef19c3495081cabd1dbb93922437/
http://www.dailymotion.com/video/x1cl383_lettre-a-mon-voisin-du-dessous-raphael-zacharie-de-izarra_news