Cette forme terne sur le trottoir, étalée dans la poussière, vautrée dans
la saleté, noyée dans l'alcool, c'est un homme.
La plus belle oeuvre de la Création.
Il est comme un oiseau à terre, humilié, sans plus d'espoir, les ailes
brisées. Une personne qui a perdu sa dignité, un anonyme sans nom ni visage.
Un bipède oublié, un sujet abandonné, un citoyen inexistant.
Un gueux comme il en existe tant d'autres autour de notre globe et dont nul
ne se soucie.
Il aurait pu être une ombre gisant dans une rue de Calcutta, un quidam
invisible se confondant avec le décor de quelque sinistre bidonville, une
silhouette misérable tendant sa sébile sous les regards indifférents dans je ne
sais quelle mégalopole...
Mais c'est un clodo de nos contrées. Un humain à nos portes, sous nos pieds,
sous notre ciel. Sa valeur à nos yeux est la même que pour les autres : sa place
est à hauteur de nos semelles, au bord du caniveau.
Ce mortel blessé n'a pas conscience lui-même de l'immense valeur de ce
qu'il est. Il ignore qu'au-delà de son incarnation, derrière son apparence
lamentable, c'est une âme.
C'est-à-dire une flamme..
Une entité glorieuse, une lumière divine, un hôte céleste. Comme nous
tous.
Ce mendiant est un astre descendu sur Terre pour venir habiter un corps
bancal, tordu, outragé.
S'il ne se relève pas, c'est parce qu'il ne se rend pas compte de son
immensité, leurré par la matière qui l'entoure.
Et si les passants que nous sommes ne voient pas que Dieu est dans ce
pouilleux, si proche de nos pas, c'est parce que nous ne nous rendons pas compte
qu'en réalité nous lui marchons dessus.
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