J'ai beau loger mon cul dans les fossés du coin et traîner mes bottes dans
les fourrés, loin des salons des notables, indubitablement ma virilité de
sanglier s'enflamme pour la belle femelle du notaire. Au village elle passe pour
une épouse ordinaire, voire une bourgeoise empâtée. Selon mes critères elle vaut son
pesant de noisettes ! Contrairement à ce que l'on serait tenté de croire, en général les rustauds ruraux se montrent très sensibles aux charmes délicats des fines créatures de la ville et inversement, les citadins raffinés éprouvent des transports immodestes à l'égard des épaisses vaches de la campagne.
Je lorgne invariablement sur son glorieux postérieur et ses grosses poires
bien mûres. Son mari socialement haut placé s'est déjà lassé, c'est sûr, de ces
fruits devenus trop consistants à son goût, et semble préférer les
appas naturellement allégés des lisses et fades jeunettes.
Moi qui ne suis qu'un vagabond, donc au bas de l'échelle des gens
honorables, je regarde cette femme délaissée comme un mets de choix, même si je
ne peux raisonnablement pas aller lui foutre directement ma pogne au
popotin. Non, j'agis plus subtilement : pour pouvoir seulement la dévorer de mes prunelles carnassières, j'essaye d'abord de lui toucher le coeur.
Je lui apporte des lapins pris au collet encore chauds, des baies aussi sauvages que rares, ainsi que des fleurs issues de la friche, mais surtout mes rêves noirs de bête des bois. Je sais qu'elle apprécie beaucoup
mes histoires de loup, mes aventures dans la nuit et mes pensées de feu.
En retour elle me laisse espérer le gain immodéré de ses opulents trésors.
Lorsque je prends le thé chez elle en compagnie de son époux indifférent, je lui parle ouvertement de mon sceptre de seigneur de la forêt, de ma couronne de gueux de la verdure, de mon trône de souverain des broussailles... Elle m'écoute, dubitative, rêveuse, toute frémissante. Je lui raconte mes voyages routiniers dans les chemins creux autour du patelin. Elle en fait tout un foin dans sa tête lustrée, toute une fête depuis sa cuisine de ménagère !
Avec mes haillons d'ogre local et mon chapeau de paille usé, elle m'imagine prince des champs chevauchant quelque pégase étincelant partant à la conquête d'un horizon idéal et fabuleux...
J'alimente au possible ses folles rêveries de mondaine languissante en agitant sans retenue le chiffon rouge de l'esprit littéraire, tandis que je brûle de désir en la voyant se pâmer de mes mots pleins d'ombre et de lumière...
Tout se termine toujours sagement par un repas copieux qui me fait vite oublier les séductions de sa chair inaccessible. Tard le soir en sortant de chez elle, mes humeurs refroidies mais le ventre plein, en levant les yeux vers les étoiles ma flamme éteinte se ranime bientôt.
Et repartant dormir dans ma grange, je me consume d'amour pour la céleste Junon que, de ma plume d'épouvantail, je viens d'effleurer de si près.
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