Sur ce cliché datant de 1880, dix faces hors du temps fixent un 
des tous premiers appareils photographiques de l’histoire humaine, laissant 
ainsi pour les millénaires à venir la glorieuse empreinte de leur humble passage 
sur notre planète.
Dix visages sans nom, sans histoire, anonymes de l’Inde profonde noyés dans 
le XIXème siècle. Oubliés de tous. Rendus à la poussière, tous. Hommes, femmes, 
enfants. Ensevelis dans le sable du passé.
Dix faciès uniques, dix personnalités ayant fait leur chemin temporel, qui 
ne réapparaîtront plus jamais, en aucun lieu de l’Univers que ce soit. 
Ces individus semblables à nuls autres, exclusifs, irremplaçables, passagers 
ordinaires de Chronos, ombres jetées par hasard ou par on ne sait quelle 
mystérieuse volonté sur le globe comme des milliards d’autres, ces êtres 
incarnés en un mot, aussi vagues et insignifiants soient-ils à nos yeux 
embourgeoisés d’Occidentaux de l'époque technologique, et qui depuis cent ans ne font 
plus partie des vivants, moi je les observe, les contemple, tente de les sonder, 
m’interroge à leur sujet.
Ces silhouettes issues d’un âge révolu, enterré, rendu au néant, ne me sont 
pas étrangères, à force de leur prêter autant d’attention. 
Je scrute leurs traits, essaie de deviner leurs pensées et m’imagine même 
physiquement à leurs côtés, en train de les côtoyer dans leur intimité.
Ces humains qui regardent le photographe et que je regarde à mon tour sans que, à cent trente quatre années de distance, ils en eussent eu conscience, c’est moi-même, c’est mon voisin de palier et le passant dans la rue, c’est n’importe qui et tout le monde, c’est vous, c’est nous tous, c’est le grec antique, le hère du Moyen-Âge et le pharaon de l’Egypte ancienne, c’est le clochard de nos cités modernes et c’est le quidam africain, océanien ou européen de l'ère d'avant Jésus-Christ.
Ces humains qui regardent le photographe et que je regarde à mon tour sans que, à cent trente quatre années de distance, ils en eussent eu conscience, c’est moi-même, c’est mon voisin de palier et le passant dans la rue, c’est n’importe qui et tout le monde, c’est vous, c’est nous tous, c’est le grec antique, le hère du Moyen-Âge et le pharaon de l’Egypte ancienne, c’est le clochard de nos cités modernes et c’est le quidam africain, océanien ou européen de l'ère d'avant Jésus-Christ.
C’est l’Humanité totale. 
L'image est belle, ces physionomies m’intriguent et leurs regards disparus depuis 
des lustres et des lustres se posent sur moi, indirectement.
Aussi je prends le temps de m’imprégner de ces têtes devenues crânes ou 
bien cendres, m’attardant sur les moindres détails de ces inconnus, me 
plongeant avec une sorte d’ivresse sacrée au fond de chacune de ces dix âmes, de 
ces dix personnes, de ces dix mortels ayant brûlé leur terrestre chandelle et 
qui, devenus j’ignore quelles inconcevables entités éthériques, pures essences ou 
formels fantômes sont, au moment où je leur consacre ces lignes, les sors de l'amnésie et de l’indifférence générale, dans je ne sais quelle sphère inexprimable et 
immensément lointaine de la nôtre...
VOIR LA VIDEO :
 
