Né dans les douceurs de la soie, les délicatesses de la dentelle et les
vices de l’or, j’ai tété mes nourrices à peau laiteuse avant de les morde fort
prématurément
Des limbes dorés d’où je suis sorti la dent acérée, j’ai hérité d’une
bosse. Cette infirmité, immonde quand elle a poussé chez la gueusaille, se
présente comme une flatteuse singularité sur le dos des gens de mon espèce. Une
sorte de fioriture horrible qui fait toute ma différence.
Cette excroissance me conférant cette silhouette hideuse -et même
effrayante- est mon plus grand bonheur d’aristocrate fortuné.
Egocentrique, imbu de ma disgrâce, caractériel, méchant par
nécessité, dépensier par éducation, pervers par goût, je ne veux ressembler à
personne, pas même à Apollon. Je préfère être cette grimace unique plutôt qu’une
rose banale.
Les femelles détournent leurs regards de ma face ignoble : comme si
mes charmes de polichinelle n’y suffisaient pas, la généreuse Nature a fait mes
traits fort laids. Mais par la vertu de mes écus les belles, cupides, acceptent
bien vite de les contempler.
Mon argent fait briller comme un soleil ma face de gargouille et fait
luire ma protubérance ainsi qu’une Lune difforme.
On pense que je suis plein de mollesse à l’égard de ces bonnes âmes qui
veillent à ce que mes désirs les plus baroques soient comblés.
Erreur.
Pour les récompenser de leurs ardeurs feintes, sourires forcés ou
politesses de façade et autres faussetés, je leur adresse mes pires cruautés
d’esthète au coeur pourri et à l’esprit vif et joueur. Ainsi pour Noël j’offre à
mes amantes les plus assidues, donc les plus vénales, des coffres lustrés
remplis d’asticots vivants, à mes bonniches paresseuses des bijoux confectionnés
dans des os de condamnés à mort, à destination de leurs enfants (dont la
simple vue m’est insupportable) des diablotins faits avec des cordes de pendus, à
mes valets fidèles des baguettes de bois vert avec lesquelles ils ont ordre de
fabriquer les robustes badines qui leur chaufferont l’échine toute
l’année.
J’aime particulièrement me rendre aux funérailles, surtout celles de mes
amis. Pour moi c’est jour de fête que d’enterrer mon entourage. Je me sens plein de
verdeur au contact de la mort des autres. Plus ils sont nombreux à rejoindre le
cercueil, plus je me sens vivre. Devant leur cadavre puant je ressens la
félicité de l’épargné, la chance du survivant.
Je suis un vieil aristocrate laid, bossu et riche. Mais en réalité ma vraie
richesse, celle qui me maintient en vie, me rend heureux de
manière constante, qui fait que je suis satisfait de mes oeuvres, c’est ce
mélange en moi de fumier et d’épines. L’un me nourrit, les autres
m’aiguillonnent. Ainsi je ne tombe jamais à terre.
Je suis le seul à n’être pas dupe. Ainsi je traverse l’existence, tordu,
fangeux, amer et cynique, cruel et lucide, bien certain que ce n’est pas pour
moi qu’on m’aime mais pour mon argent.
VOIR LA VIDEO :
https://rutube.ru/video/9c3f7c6d46ec549ba181143411bb9b9a/
http://www.dailymotion.com/video/x53ma6b
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