La morosité du ciel alourdi d'enclumes, la tristesse de l'horizon plombé
par les flots sombres, l'ennui des averses sans fin sur les labours bercent mon
coeur épris de crépuscules, de pluie, de grêle, de neige fondue et autres
langueurs humides.
Ces deuils immenses de la nature me réjouissent. Et parfois même
m'enflamment. Lorsque la nue est en larmes, je suis en fête.
Moi, j'aime quand le temps est pesant, obscur, sans espoir de
printemps.
Tandis que mes bottes s'enfoncent dans les profondeurs de la terre
ténébreuse, froide et boueuse, mon âme s'allège. Je suis ainsi fait que le
champêtre spectacle de la mélancolie, de la tourmente, de la douleur me met en joie.
C'est dans cette eau austère, cette ombre considérable, cette nuit trempée
que je trouve de quoi abreuver la bête poétique qui gît en moi.
Loin de la ville et de ses faux éclats, je me sens bien dans ces décors de
fin du monde.
C'est le loup que je désire, non l'agneau. C'est la glace qui me fait
frémir, non la tiédeur. C'est l'orage qui me fait rêver, non le calme.
Ce qui me plaît, ce n'est pas la platitude des jours bêtement heureux, mais
la vie agrémentée de cailloux, l'azur enrichi de frissons, les lendemains qui
déchantent délicieusement sous la tempête...
Je cherche la savoureuse âcreté de l'existence, non la fadeur d'une paix
dominicale.
Le sucre m'écoeure mais le vinaigre me comble. Les parfums en flacons
m'incommodent, la puanteur des sangliers m'enchante. Le miel me donne la nausée,
le poivre des ailes.
Ma peau n'est pas faite pour la soie mais pour l'écorce. Je préfère la
compagnie des rats de septembre à celle des papillons de mai. Au lieu de la
caresse lénifiante des fleurs stupides gorgées de mollesse, je veux recevoir la
gifle revigorante des épines pleines de sève et de lumière, de rage et d'amour
!
Ce qui pique nous rend vivants, ce qui est flasque nous endort.
A mes yeux la ronce vaut mieux que la rose parce qu'elle a l'angulosité de
la pierre, la sévérité de l'éclair, la douceur de la foudre.
La première réveille les morts, la seconde fait vomir.
L'aiguillon sauve les hommes blasés, gavés, obèses. L'abus de soleil, de
confort et de plaisirs cotonneux les fait devenir amorphes.
C'est pourquoi je cherche non pas de ternes espaces d'inoffensive verdure
mais des trous d'humus, des gouffres de tonnerre et des champs d'orties.
Pour me laisser imprégner par tous les crachats célestes, me rouler dans
l'onde brute, m'ouvrir au souffle sacré qui me tient sans cesse en éveil.
VOIR LA VIDEO :