Par paresse naturelle du public qui ne détecte pas ces incohérences ou n’ose tout simplement pas les relever et les confronter aux auteurs, sottement impressionné qu’il est par l’aura supposée de l’œuvre, ainsi que par coupable mansuétude ou négligence de la part des critiques, des œuvres théâtrales, littéraires, poétiques incompréhensibles, bancales, imbéciles passent à la postérité.
Dès lors, toute appréciation négative de ces oeuvres devient subversion, provocation gratuite, mauvaise foi aux yeux de leurs créateurs et surtout aux yeux des « cultureux » du milieu artistique qui les ont légitimées.
Au théâtre par exemple, lieu privilégié de maintes expériences artistiques post-contemporaines, abus poétiques et nullités littéraires en tous genres, l’imposture artistique est encore plus aisée. Là, les oeuvres (maladroites) supportées avec une telle efficacité par les artifices scéniques les plus variés deviennent miraculeusement beaucoup plus digestes… Dans l’ordre normal des choses de l’art c’est le texte qui devrait supporter la scène et non l’inverse.
J’en ai déduit avec consternation que l’on pouvait donner du lustre à n’importe quelle œuvre hermétique, complexe ou prodigieusement ennuyeuse pourvu qu’elle soit présentée sous forme théâtrale (avec ses faux éclats artistiques) et obtenir de manière certaine des applaudissements nourris ! Et ce, même si personne n’a vraiment rien compris à la pièce ni ne l’a appréciée pour le fond. L’œuvre, médiocre au départ, se perd alors dans les savantes fumées, subtils jeux de lumières du théâtre et de sa magie factice, se pare de l’artificielle noblesse conférée par les masques et capes flatteurs de la scène et, sournoisement, la forme prend le dessus sur le fond.
Et le tour est joué !
Prenant un soudain -et involontaire- relief grâce aux apports techniques et astuces scéniques du théâtre, l’œuvre, aussi infecte soit-elle, est acceptée par la critique -et à plus forte raison par le public- dupés, séduits par la pompe avant-gardiste ou le souffle superficiel avec lequel on a emballé le terne texte original (qui est la base de l’œuvre).
Aux mensonges mondains de ce théâtre prétentieux j’oppose la simplicité, la clarté et l’humour tranchant du théâtre primaire. Ainsi avec Guignol, pas d’entourloupe intellectuelle ! J’apprécie la proximité, la franchise et la crudité de ce spectacle sain, accessible à tous.
Le théâtre contemporain est une sorte de panthéon à la fois populaire et élitiste où quasiment toute oeuvre est officialisée d’office, faussement sacralisée par le simple fait qu’elle a été couchée sur les planches et que, touchée par leurs échos frelatés, elle résonne longtemps dans l’air du temps. Peut-être parce que le plancher du théâtre est finalement beaucoup plus creux qu’on ne le croie… Bref, c’est la reconnaissance par l’apparence. Ici les effets visuels servent à merveille les navets littéraires. Je compare le théâtre à une baudruche qui gonflerait les textes les plus minuscules par simple étalage des mots sur sa surface.
Soyons réalistes : qui a déjà assisté à des sifflements à la fin d’une représentation donnée dans une salle de province ? Evidemment quasiment personne ! Au théâtre chez les spectateurs il existe un processus psychologique collectif perfide et implacable consistant à ne pas sortir de l’ornière, indépendamment du fait que la pièce soit brillante ou nulle.
On ne va pas au théâtre pour faire de l’esclandre littéraire, pour se faire bassement remarquer auprès d’autres gens venus s‘offrir une agréable soirée… Le théâtre n’est pas l’endroit idéal où faire preuve d’honnêteté, d’indépendance de pensée, d’esprit d’analyse. C’est tout simplement un lieu festif et convivial.
Et de fausse réflexion, à mon sens.
Bref, c’est par pur mimétisme grégaire, convenance sociale ou simple courtoisie envers les comédiens que les gens applaudissent.
Ou même, ce qui est beaucoup plus navrant, pour la simple raison qu’ils ont payé pour aller applaudir un spectacle, comme si leurs applaudissements justifiaient le prix du ticket d’entrée parfois chèrement payé.
Qui dans une salle oserait, seul dans son coin et devant toute l’assistance réprobatrice, siffler, huer les comédiens, conspuer l’auteur de la pièce une fois la représentation terminée ? De même, avez-vous déjà vu un mauvais chanteur de rue recevoir des tomates à la face ? Dans la réalité les gens sont évidemment plus diplomates ! Ce que les gens de théâtre prennent pour une discrète adhésion à la pièce n’est parfois, si ce n’est souvent, qu’un poli silence de déception et d’hypocrisie.
Ou d’indifférence.
Dans la grande majorité les spectateurs déçus gardent leurs opinions pour eux, entretenant ainsi le malentendu.
Finalement, grâce à une certaine complaisance générale de la part du public et des « officiels » à l’égard de ces écrits mis en scène sur les planches, on peut aisément faire passer à la postérité des oeuvres insignifiantes que n’importe quel lecteur honnête et normalement constitué renierait sans hésiter s’il les lisait dans le texte au lieu de les subir sans discernement au théâtre.
Le théâtre avec ses emphases et solennités -oppressantes ou ridicules- ne laisse ni la place ni le temps à l’esprit de contestation de se manifester, contrairement au texte nu que le lecteur affronte seul dans sa chambre.
VOIR LA VIDEO :
https://rutube.ru/video/631f6f2a9ebfe2e4de68381b3370f5c2/
Ce texte fut rédigé en réaction à la pièce de théâtre" MON PÈRE, MA GUERRE" à laquelle j'ai récemment assisté. Son auteur ayant pris connaissance de mes réflexions et croyant que je parlais exclusivement de son oeuvre à travers cet article me manifesta son étonnement. Il me semble donc utile d'ajouter ceci en complément à mon article :
A travers mon article ci-dessus je ne parlais évidemment pas de la pièce "MON PÈRE, MA GUERRE" en particulier mais d'une partie de la production littéraire contemporaine en général, dont celle qui est destinée à être jouée sur des scènes de théâtre.
Il est vrai que cet article a été directement inspiré par la pièce "MON PÈRE, MA GUERRE", mais mon discours à travers cet article ne se cantonne pas à cette oeuvre spécifiquement. Disons que la pièce a été un déclencheur après une accumulation de contrariétés vis-à-vis de certains abus artistiques et littéraires.
Les qualificatifs employés ici ne s'appliquent pas tous nécessairement à l'oeuvre"MON PÈRE, MA GUERRE" mais à l'actuelle production littéraire en général d'inspiration "post-modernisme" comme on dit.
Que j'aime ou non la pièce "MON PÈRE, MA GUERRE" n'a rien voir avec mon jugement qui est purement intellectuel, émis avec le plus d'honnêteté possible, indépendamment de mes goûts culturels ou appréciations émotionnelles.
Ici je vais tout simplement jusqu'au bout de la démarche consistant à saisir l'oeuvre dans son entièreté, à la soumettre à l'épreuve du spectateur. Je parle de l'authentique spectateur ici, non du simple quidam sans particulière exigence ne cherchant qu'une passagère et confuse distraction dénuée d'analyse, distraction qu'il aura oubliée une fois passée la porte de sortie du théâtre...
Que l'on comprenne une chose : je ne suis pas là pour m'amuser à dénigrer stérilement une cause mais pour faire preuve d'honnêteté, de courage face à ces oeuvres que l'on me présente.
Applaudir benoîtement est très facile, c'est même une sorte de réflexe grégaire difficile à contrôler et à la portée de tous les publics du monde. Admettre envers et contre tous que l'on est perplexe, insatisfait devant une oeuvre que l'on a perçue comme hermétique, complexe, improbable et préférer faire le choix d'une démarche approfondie dans la réflexion c'est, à mon sens, un acte de vraie liberté en tant que spectateur. Au lieu de subir une oeuvre et d'y adhérer par lâche mimétisme je décide au contraire de lui opposer un regard souverainement lucide.
En allant voir la pièce "MON PÈRE, MA GUERRE" j'ai fait le choix d'aller au-devant de cette oeuvre avec un esprit ouvert, sans préjugé, un coeur sain.
Mais puisque ses subtilités supposées m'ont totalement échappé, je me confronte donc à cette oeuvre avec les armes d'une réflexion honnête et sans complaisance. Je n'ai aucun plaisir particulier à décrier un auteur, une oeuvre, un système. Ma véritable satisfaction est de défendre l'art dans sa justesse, sa vérité, son authenticité.
D'ailleurs les vrais responsables de la "médiocrisation" culturelle et de la prétention littéraire ambiante ne sont pas les auteurs eux-mêmes mais leurs éditeurs, ceux qui leur donnent ce ticket d'entrée officiel pour la reconnaissance. Ce n'est pas vers les créateurs essentiellement que vont mes reproches, loin de là, mais vers les décideurs culturels qui font des choix navrants.
Le manque de perspicacité, de volonté d'approfondir les choses, d'aller jusqu'au bout d'une démarche d'analyse esthétique, artistique, littéraire de la part de la majorité du public contribue à un regrettable malentendu dans le domaine culturel et intellectuel. Une bonne part de "facteur psychologique" influe également (dans le mauvais sens) et par conséquent fausse les jugements, anesthésie les bonnes volontés dans ce processus consistant à appréhender une oeuvre avec le maximum d'honnêteté.
Bref, au cours de ces réflexions, confrontations avec les auteurs (principalement les auteurs de littérature), études des différentes psychologies tant chez les auteurs que chez leur public, examens minutieux des textes "litigieux", exercices de ma sensibilité par rapport à certaines oeuvres -démarche personnelle qui n'a rien d'oiseux- l'évidence s'impose de plus en plus : l'authentique littérature est une eau claire et non une onde trouble, non une atmosphère enfumée, non un nuage d'inextricables pelotes de symboles... Simplicité, clarté, élégance, telles sont, selon moi, les parures chastes, humbles, sobres et belles de l'authentique littérature.
Pour résumer, un véritable auteur n'écrit pas pour lui-même mais pour les autres.
Je compte donner un écho plus général à ces réflexions, dans un second temps.