La flamme amoureuse que peut éprouver un honnête homme à l'endroit d'une femme, contrairement aux idées reçues, ne s'alimente pas nécessairement de réalités tangibles tels que de beaux yeux et de ravissantes allures. Ces agréments physiques flattent la vue, assurément. Pourtant là n'est point la base solide et crédible, la terre ferme et prometteuse sur laquelle s'appuie, pour mieux s'élancer, la véritable fièvre romantique.
Conditionnés par la mode occidentale, peu de nos contemporains soupçonnent ce qui émeut réellement l'esthète averti, le peintre sensible, l'âme éveillée, quand le sujet de ce curieux et terrible émoi, au lieu de s'appeler "suavité", se nomme plus volontiers "disgrâce"...
Je crois plus en la profondeur d'une émotion née à la vue d'un visage féminin âpre qu'au sentiment superficiel éprouvé face à des traits plus plaisants. Je ne fais pas ici le procès de la beauté bien au contraire. Je suis réceptif aux charmes des jolies jouvencelles, des belles incarnations.
Cela m'empêche-t-il de vouloir rendre hommage aux autres ? Comme tous les garçons normalement constitués et programmés par la toute puissante Nature, je suis spontanément ébranlé par la grâce féminine, les douces figures nuptiales, les appas de ces demoiselles nées sous le flanc de Vénus.
Pourtant si ces dernières sont des roses vivantes, des trésors qu'il faut chérir à juste titre, des anges adorables qu'il est agréable de voir passer dans la rue, que l'on admire pour leur seule splendeur, les autres, toutes ces créatures à la lumière absente, disgraciées pour la vie entière, ce sont des poèmes.
Tristes et beaux.
Ces délaissées sont pareilles aux brises qui agitent les blés, délient les longs cheveux, font tourner les ailes des moulins : seuls leurs effets sont visibles. Transparentes, les laides passent inaperçues dans la rue. La norme ne les reconnaît pas. Leur attrait est indirect, subtil, mystérieux. Proust ne disait-il pas avec raison : "Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination" ?
Il y a du roman et des soupirs dans les orages qu'elles inspirent. Il y a du souffle et de l'esprit chez ces amantes sans éclat. Le vrai poète préfère faire rimer l'amour sans atours. Il trouve de l'intérêt là où ordinairement nul ne vient s'extasier.
Lire à travers leur physionomie ingrate le désir d'un hyménée idéalement conçu est ma plus chère ivresse. J'aime me faire aimer des offensées. Quoi de plus exquis qu'un regard que l'on sait secrètement épris ? Ces demi-gargouilles qui cherchent l'attention de l'être estimé sont à l'image de mes attentes : empreints de noblesse, chastement inspirés, répandant un douloureux et bel état intérieur... A travers elles, l'union des sexes est un mystère encore plus beau.
La détresse esthétique des esseulées est chose émouvante. Le feu caché en elles se révèle ardent. Je suis le barde de la cause impie : je chante les ombres, les haillons, les condamnées.
Je brûle pour les déshéritées plus que pour les arrogantes déesses des grands boulevards et des petits salons. Les oiseaux fragilisés m'enchantent. Les filles maudites victimes de leur aspect, pleines d'épines mêlées d'idéal, m'attirent.
Les larmes des poupées de chiffon font mieux fléchir mon coeur que les sourires des statues de porcelaine. Je suis ému par les paysages d'automne, touché par les sanglots, troublé par les violons sombres, séduit par les feuilles mortes, les fleurs brisées.
1 commentaire:
jour après jour (1)...
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