L'ingénue aux boucles blondes marche droit devant elle, traversant prés et champs d'une allure égale. Sur sa joue suinte un filet d'argent qui brille furtivement au soleil. Elle pleure du bout de ses dix ans, boudeuse. Et à travers ses yeux bridés, elle interroge le ciel, et peut-être même le monde entier. La tristesse l'accable. Son coeur est oppressé. Plus même : douloureux. Pire encore : blessé.
Elle le sent confusément. Elle en prend conscience progressivement, inéluctablement, comme une soudaine révélation tombée le jour même. Et sa peine s'alourdit au fil de ses pas. Ses pensées sont égarées, comme elles l'ont toujours été.
Elle vient, une nouvelle fois, de se faire exclure de la troupe de garnements qui jouaient près de sa maison. Alors elle s'est contentée d'observer les jeux de ses camarades de loin avant de leur tourner le dos et de s'en aller au hasard dans la campagne environnante, sans vraiment en connaître l'exacte raison, dans la confusion de ses idées perturbées.
A présent elle a parcouru plusieurs kilomètres, et est déjà très éloignée de son foyer. Elle arrive au bord d'un point d'eau, qu'elle ne connaît pas. Profond. Elle peut voir, en se penchant un peu, l'azur qui se reflète, si vaste, si beau. Et puis, en se baissant encore un peu plus elle reconnaît son visage, si fragile, si frais. Ses larmes redoublent, et tombent une à une dans l'onde à peine troublée.
Pendant ce temps on s'inquiète de son absence et les gendarmes sont alertés pour tenter de la retrouver. On craint pour sa vie, sait-on jamais avec toutes ces histoires de mauvaises rencontres... C'est encore une frêle gamine.
Combien de temps est-elle restée ainsi sur la rive à scruter les nues, à plonger le regard dans le mystère de ses traits reflétés ?
On a retrouvé son petit corps le lendemain, enseveli sous les flots paisibles de l'étang, telle Ophélie étendue dans son mouvant linceul de cristal. Une noyade stupide a conclu le brigadier. Une imprudence de pauvre gosse fugueuse... C'est ce qu'ont rapporté tous les journaux du pays. Mais qui peut réellement dire ce qui peut se passer dans la tête d'une enfant pas plus haute que ça ?
Qui peut affirmer qu'à cet âge on n'a pas la sensibilité d'un adulte, au point de... Selon les grandes personnes, le désespoir devrait donc avoir une majorité, une maturité, un certain nombre d'années, pour être légitime ?
Nul n'a osé avancer cette hypothèse. En effet, on ne prête pas une telle subtilité d'émotion à une âme si puérile, si innocente.
Il n'y eut aucun témoin du drame, si ce n'est le vent et le chant des oiseaux.
Dans le miroir liquide, la jeune proscrite avait vu son image. Et avait
vraiment compris, enfin, seule face à elle-même, qui elle était,
pourquoi elle était si différente des autres bambins de son école. Elle
s'était vue sangloter. Et sut pourquoi elle était devenue si malheureuse
en l'espace d'une heure. La veille encore sa physionomie singulière ne
la chagrinait nullement. Mais soudain elle s'était découverte avec un
oeil plus éveillé. Et à travers une fenêtre de lucidité, avait reçu le
choc de la vérité. Et n'avait pas supporté.
Tout cela n'était pourtant pas grand-chose lui assuraient souvent ses
parents. En fait tout ne tenait qu'à un mot, un seul.
La petite fille était trisomique.
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2 commentaires:
L'un des blogs les plus étonnants que j'ai pu découvrir : il fait grincer des dents, se poser des questions sur les objectifs de l'auteur, et pourtant, on y reste accroché, fasciné (enfin jusqu'à ce qu'il soit l'heure de se coucher). Vous avez indéniablement du talent avec les mots, vous parlez des sentiments humains les plus complexes et vous osez poser des idées pleines de bon sens qui ne manquent pas de bousculer nos cheminements intellectuels habituels.
Je ne suis pas toujours d'accord avec vous, certes, et parfois les idées sont tellement crues qu'elles sont difficiles à digérer, mais je ne comprends pas : pourquoi tant vous diaboliser dans le process ?
Ma foi, à la rigueur, je suis prête à accepter que cela reste une énigme : laissons le luxe suprême aux auteurs de ne pas dire ce qu'ils sont et de ne pas être ce qu'ils disent.
Bonne continuation. Je reviendrai sans doute lire quelques articles supplémentaires.
Elodie,
Je suis peu entendu, peu lu, peu pris au sérieux car j'ose parler de l'ombre et de la lumière quand d'autres ne parlent que du vent.
Revenez quand vous voulez !
Raphaël Zacharie de IZARRA
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